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QUEER GUEST · Monika Treut : « Le film de Fassbinder a réaffirmé mon désir lesbien, qui était encore noyé dans la honte. »

  • Timé Zoppé
  • 2024-03-08

On a demandé à des figures queer d’âges et d’horizons différents de nous parler des premières images, vues au cinéma ou à la télévision, qui ont fait battre leur petit cœur queer. Aujourd’hui, la réalisatrice allemande Monika Treut, qui a mis une pierre de taille à l’édifice du cinéma queer avec des films comme le documentaire précurseur Gendernauts (1999), sur une bande d’ami.e.s trans et non-binaires à San Francisco. Elle est cette année la « Queer Queen » du festival de Films de Femmes de Créteil, accompagnant un programme LGBTQIA+ du 16 au 18 mars.

« J'ai grandi dans les années 1950 et 1960 dans une ville allemande conservatrice près de la frontière néerlandaise. Un jour, mon père m'a emmenée voir To Kill a Mockingbird [Du silence et des ombres, de Robert Mulligan, 1962, ndlr]. J’avais 8 ou 9 ans et le film m’a profondément impressionnée. Notamment grâce au personnage de Scout, interprété par Mary Badham. Scout faisait parfaitement écho à mon look de garçon manqué. De plus, son personnage se transforme en courageuse héroïne au fil de l’histoire. À l’époque, je me sentais comme une paria dans mon école parce que j’étais très masculine et que je ne traînais qu’avec des mecs. Le personnage de Scout m'a fait sentir que je n'étais pas seule dans ma dysphorie de genre et qu’être différente était normal, voire désirable.

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Ensuite, j’ai passé mon adolescence dans une petite ville de province sans cinéma d’art et essai. J’ai dû compter sur la télévision publique allemande, qui était en fait incroyablement progressiste à l’époque, comparée aux émissions de télé effrayantes qu’on peut y voir aujourd’hui. À la fin des années 1960, la télé publique allemande diffusait des films d’avant-garde, par exemple le mélange expérimental underground Der Bomberpilot (1970) du cinéaste gay et flamboyant Werner Schroeter, et bien d’autres de réalisateurs majoritairement masculins du nouveau cinéma allemand.

L’un des premiers à m’avoir frappée à plus d’un titre : Les Larmes amères de Petra von Kant (1972) du grand Rainer Werner Fassbinder. Cette pièce de chambre acide au casting entièrement féminin, alors que les relations sadomasochistes entre les personnages étaient dépeintes de manière très sombre, a réaffirmé mon désir lesbien qui était encore noyé dans la honte. Je convoitais la jeune et naïve Hanna Schygulla et également la manipulatrice et nihiliste Margit Carstensen. Jusqu’à la mi-vingtaine, j’avais peur de faire mon coming-out car je baignais dans un environnement homophobe, où l’hétérosexualité était obligatoire. Mes parents s'inquiétaient de mon orientation sexuelle et essayaient de me brancher avec des « jeunes hommes bien sous tous rapports » de leur cercle d'amis. À cette époque, il n’y avait presque rien d’accessible concernant le sexe ou les relations lesbiennes.

Ce n’est que vers la mi-vingtaine que j’ai commencé à me libérer de la peur. À Hambourg, j'ai rejoint un collectif médiatique féministe principalement composé de lesbiennes, Bildwechsel*, où on travaillait avec la vidéo et la photographie. On avait lancé un ciné-club hebdomadaire réservé aux femmes où on projetait des films expérimentaux faits par des réalisatrices, en coopération avec la Kinemathek de Berlin. L’un de mes films préférés à l’époque était Madame X : Une règle absolue d’Ulrike Ottinger (1977). Il suit la célèbre reine pirate Madame X, interprétée par l'emblématique Tabea Blumenschein, alors qu'elle rassemble un groupe de femmes ennuyées par leur quotidien, qui la rejoignent sur son navire Orlando. Comme je l'écrivais dans la revue féministe Frauen und Film (n° 28, juin 1981) : « La représentation offerte par les neuf protagonistes de ce film pirate ouvre un nouvel horizon de fantasmes à même de bouleverser la réalité encore grise et étriquée de la vie lesbienne. » Pendant mon aventure dans ce collectif, j'ai également travaillé sur ma thèse « La femme cruelle. De l'image de la femme chez Leopold von Sacher-Masoch et le marquis de Sade ». Ce thème est né de mon intérêt inextinguible pour la déconstruction des images patriarcales des femmes.

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Vers 1980, j'ai rencontré Elfi Mikesch, une fabuleuse chef-opératrice et cinéaste berlinoise. Ses films poétiques brouillent les frontières entre documentaire et fiction et ont permis l’émergence de regards inattendus sur la vie humaine. La projection du superbe documentaire d'Elfi Que ferons-nous sans la mort (1980), un jeu très libre avec la réalité dans une maison de retraite, a été le point culminant de notre ciné-club féminin. Elfi et moi avons noué une amitié et plus tard, lorsque j'ai tourné mon premier film officiel Bondage à New York, Elfi est venue me rendre visite et nous sommes tombées amoureuses. Ce fut le début de notre fructueuse collaboration. La première a consisté à coécrire, coréaliser et produire le long métrage expérimental, controversé à l’époque, Seduction : The Cruel Woman. Et le reste, c’est de l'histoire. »

* qui existe toujours et publie sur Facebook des programmations queer, qui se déroulent notamment à Hambourg (ville de résidence de Monika Treut) : https://www.facebook.com/people/bildwechsel/100064808857755/

 

: Festival International de films de Femmes, du 15 au 24 mars à Créteil

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