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QUEER GAZE · « Zaaaaaap », par Quentin Grosset

  • Quentin Grosset
  • 2023-07-12

Cette semaine, carte blanche au journaliste Quentin Grosset, notre collègue et ami. Cette année, il a créé la rubrique « DIVINE GANG », un concentré de visions cinématographiques trashs, excessives ou romantiques. Il revient sur la première image qui a fait battre son petit cœur queer (et celle-ci, tout droit venue des nineties et de Springfield, va vous étonner).

Enfant dans les années 1990, j’étais amoureux du Power Rangers rouge, de Filip des 2be3, j’étais troublé par le jeu de sourcil de Brandon dans Beverly Hills – j’avais aussi un crush alarmant sur Christian Clavier dans Les Visiteurs. Mais si je dois revenir sur la première fois où quelque chose de queer s’est réveillé en moi, je pense que c’était en 1997, j’avais 9 ans et je regardais ma série préférée, Les Simpson. Cet épisode de la saison 8 s’intitule « La phobie d’Homer », et raconte la panique gay qui prend soudain Homer, alors qu’il rencontre John, un vendeur de goodies kitsch à Springfield. Au départ pourtant, le père Simpson l’adore, et partage avec lui sa passion pour les objets inutiles ou les disques ringards. Mais dès qu’il comprend que John est gay, il devient forcené de virilisme et d’homophobie, et se met à flipper sur la queerness supposée de son fils Bart, mon idole de toujours.

Dans la version originale, John est doublé par le cinéaste John Waters, auteur des géniaux Multiple Maniacs (1972), Pink Flamingos (1972), ou Female Trouble (1974) – à l’époque, je ne savais pas encore que plus tard je deviendrai fan de ses films outrageants. En version animée, il a la même fine moustache, la même élégance trash, le teint jaune en plus. Et ce personnage porte bien la même flamboyance que ses films : je l’adorais lui et sa vision de la vie complètement camp qui peu à peu triomphe, rayonne sur tout Springfield. La ville devient un monde queer où Homer et ses potes débiles et alcooliques de chez Moe’s seraient les derniers hétéros étriqués. Vraiment, ça changeait des représentations sur lesquelles j’étais tombé jusque-là. Je me souviens de la toute première fois où j’ai entendu parler de personnes gays, c’était dans un Télé 7 Jours qui traînait chez moi. Le journal télé annonçait un reportage sur l’homosexualité, illustré d’une photo de deux mecs enlacés avec un bandeau noir sur les yeux. Comme si leur amour était honteux, devait être caché. John, c’était le contraire, il portait la marge et sa folie en étendard.

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Le point d’orgue de l’épisode, c’est lorsqu’Homer emmène Bart dans une aciérie pour qu’il voie comment bossent les « vrais » hommes. Sauf qu’Homer ne s’est pas rendu compte que le dur labeur se charge ici d’un homo-érotisme foudroyant. « Le monde entier est devenu homo ! » s’écrie-t-il, sidéré, dépité, lorsqu’il s’en rend compte. La fin de journée sonne. L’un des ouvriers musculeux exulte : « On bosse comme des fous, on s’éclate comme des folles ! ». L’usine se mue alors en « L’Enclume », une boîte de nuit qui abrite une énorme rave de métallos au son de l’hymne gay « Gonna Make You Sweat (Every Dance Now) » de C + C Music Factory. Franchement, je rêvais d’y être.

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C’était la première fois que je voyais l’hétérosexualité remise en question, dénaturalisée, mise au jour en tant qu’une culture ici carrément moquée – lorsqu’Homer, Barney, et Moe emmènent Bart à la chasse, activité qu’ils vivent comme l’emblème absurde de leur masculinité hétéro, ils ont non seulement l’air de péquenauds dégénérés, mais ils se font défoncer par les rennes du père Noël qu’ils avaient prévu de lâchement buter dans leur enclos ! Marge et Lisa sont éberluées de tant de bêtise – le problème, c’est bien Homer, pas John. Tout l’épisode est alors comme bâti sur le credo d’Edith Massey dans Female Trouble (1972) de Waters « Queers are just better… The word of heterosexual is a sick and boring life. » Forcément, ça vous marque.

À la fin, le père Simpson se rend compte de son erreur et assure à Bart que plus tard, il sera bien libre d’aimer qui il veut. Bart les yeux grands ouverts a alors comme une révélation, une prise de conscience – peut-être est-il queer, se dit-on. Le fait que mon héros ait cette fulgurance, peut-être bien que ça a eu un petit effet sur moi.

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Rétrospectivement, une scène me paraît super queer. C’est quand John, dans sa rutilante décapotable à rayures zèbres, vient chercher Bart, Lisa et Marge pour leur faire faire le tour du Springfield interdit. Il se gare devant la maison des Simpson, et Homer le guette à la fenêtre. John prend son jouet-pistolet à rayons laser et le pointe. « Zaaaaap »,s’exclame-t-il, comme s’il allait le désintégrer. Homer prend peur, il se cloître chez lui pendant que la famille Simpson va bien s’amuser à explorer le queer Springfield. Et Bart de reprendre le credo de son mentor : « Zaaaaaap » s’exclame-t-il à son tour. Allez hop, Homer et les queerphobes au placard.

Ce « Zaaaaap » prononcé comme une formule magique par John et Bart, aujourd’hui ça m’évoque un peu les zaps d’Act Up, que j’ai découvert bien plus tard, quand j’étudiais le cinéma à la fac, et que j’ai commencé à m’intéresser au cinéma et aux luttes queer. L’association de lutte contre le VIH-Sida pensait ces actions chocs conçues comme des happenings durs, fiers, et camp, pour non seulement rendre visible leur urgence, leur combat, mais aussi mettre au jour l’abjection, la niaiserie et l’esprit terne de leurs ennemis – institutions, politiques, personnalités sérophobes ou queerphobes.

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« Zaaaaaaap », ce serait alors cette attitude pailletée, drôle, dirty, et confrontationnelle propre au ciné queer, qu’en tant qu’étudiant j’ai commencé à chercher partout. J’étais parti pour faire un mémoire de fin d’études sur les teen movies. C’est comme ça que j’ai découvert Gregg Araki, et sa Teen Apocalypse Trilogy : Totally Fucked Up (1993),The Doom Generation (1995) et Nowhere (1997). Et puis aussi The Living End (1992), dont le héros, un journaliste ciné in love et chaotique, n’est certainement pas pour rien dans l’orientation professionnelle que j’ai prise par la suite.

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J’ai alors changé de direction illico pour écrire mon mémoire sur Araki, et le mouvement auquel il est affilié, le New Queer Cinema des nineties (John Greyson, Cheryl Dunye, Todd Haynes, Monika Treut, Bruce LaBruce…). Tout me parlait chez Araki : le romantisme et l’innocence de l’égérie James Duval, le rapport hyper fluide et positif à la sexualité, les looks surréalistes, les décors hallucinés, la musique post-punk rêveuse, le sentiment de fin du monde imminente, le délire teen grotesque mêlé à une rage sans compromis... Je me souviens que dans Nowhere, il y a ce personnage fucked up de lézard extra-terrestre qui à l’aveugle anéantit tout ce qui bouge avec son flingue laser. Zaaaappp. Comme Araki lui-même, qui avec son humour trash et mordant s’en prend autant aux hétéros teubés qu’à l’uniformisation de la culture gay bourgeoise.

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Découvrir les films de New Queer Cinema, avec leurs queers remontés contre la société straight et contre une forme d’homonormativité, ça a été émancipateur aussi parce que c’était sortir des représentations gays doloristes, victimisantes ou culpabilisantes. Quand j’étais ado, j’étais abreuvé de récits de coming out, pas très imaginatifs, un peu pathos et compassionnels. Ils sont bien sûr nécessaires mais comme j’étais plutôt doux, timide et discret, je rêvais d’images louches, radicales, et folles - ça me donnait plus de force d’affirmation. Une lecture qui m’a révolutionné à l’époque par rapport à ça, c’est la trilogie de livres Queer Zones de l’auteur et activiste Sam Bourcier – je me rappelle un chapitre génial consacré à ces cinéastes qui s’intitulait « Are you sick of nice fags ? » Iel parlait de ces cinéastes échauffés par les représentations hégémoniques des LGBTQ+, qui n’étaient pas très dérangeantes pour la société straight, qui au fond la validaient, elle et sa violence queerphobe.  Au contraire, leurs films à elles et eux ne s’excusaient jamais, leur substituant un monde vaste, débridé, joyeusement déviant. Bart Simpson doit avoir grandi et a sûrement à peu près mon âge – aujourd’hui je suis sûr qu’il voudrait aussi en être. Zaaaaaaap.

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