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Renate Reinsve : « C’est le bon moment pour moi »

  • Quentin Grosset
  • 2021-09-09

Révélation irrésistible du dernier Festival de Cannes dans « Julie (en 12 chapitres) » de Joachim Trier, la Norvégienne Renate Reinsve en est carrément repartie avec le Prix d’interprétation féminine. Après une brève apparition chez Trier dans « Oslo. 31 août » en 2012 et quelques petits rôles en Norvège, elle éclate ici avec spontanéité et drôlerie dans le rôle d’une trentenaire en perpétuelle redéfinition, alors que son amoureux quadra Aksel (Anders Danielsen Lie) cède à la nostalgie et qu’elle hésite à le tromper avec un séduisant jeune homme (Herbert Nordrum). Rencontre avec l’actrice, apparemment tout aussi sensible et indocile que son personnage.

« C’est un peu tardif, un premier rôle à 33 ans… Mais c’est le bon moment pour moi  », nous dit sur une terrasse cannoise, quelques jours avant la cérémonie de clôture du festival, Renate Reinsve, avec une malice, des cheveux tirés et des grosses lunettes noires qui lui donnent un petit air d’Audrey Hepburn dans Diamants sur canapé.

Son personnage dans le cinquième long de Joachim Trier, Julie, vit aussi sur un autre tempo que les gens autour d’elle – comme dans cette séquence très belle où tout Oslo se fige, les passants s’immobilisant d’un coup, tandis que cette héroïne à contretemps continue à courir à fond, le sourire aux lèvres.

«  Le film est comme un gros câlin pour les personnes un peu fucked up »

« Le bon moment » qu’évoque Reinsve, c’est précisément l’une des grandes thématiques du film. Il affirme en creux que ça n’existe pas autrement que subjectivement, et surtout qu’il y a beaucoup trop d’injonctions et d’angoisse autour de tout ça : le bon moment pour se caser, le bon moment pour avoir des enfants, le bon moment pour avoir des regrets, et donc finalement le bon moment pour tenir un rôle principal… « J’ai merdé plein de trucs, mais en même temps j’ai le sentiment d’avoir fait les bons choix. Et je crois que le film est comme un gros câlin pour les personnes comme ça, un peu fucked up », affirme l’actrice, propulsée Prix d’interprétation alors que personne ou presque ne la connaissait avant la projection cannoise du film.

UNE HISTOIRE DE TIMING

Comme Julie, Renate Reinsve se trouve désormais lancée à toute allure. Et cette renommée a été tellement soudaine et perturbante pour elle qu’elle a confié au site Internet Vulture qu’après la première projection, par peur des critiques qui commençaient à tomber, le premier matin elle s’est réveillée et a vomi, le suivant elle s’est levée et a pleuré. Ce qui ne voulait pas dire qu’elle n’était pas prête. « J’ai toujours aimé ça, construire une histoire, raconter une vie. Mais, avant, j’étais tellement timide… Du coup, ça m’a pris beaucoup de temps avant de m’avouer que je pouvais devenir actrice.  »

Pourtant, sa vocation lui est venue très tôt. Née en 1987 à Solbergelva, au sud d’Oslo, Reinsve a grandi à la campagne et, déjà, elle faisait des étincelles dans un club de théâtre pour enfants de la ville attenante. « Je faisais attention à des détails, à des nuances, par exemple à comment les gens agissent quand ils sont gênés… J’avais 9 ans ! »

En 2012, son tout premier rôle – enfin, on peut plutôt parler d’apparition –, c’était déjà chez Trier, dans son sublime deuxième long, Oslo. 31 août.« J’avais un tout petit rôle, avec une seule réplique : “Allons faire la fête !” » Ce qui semble bien lui correspondre, puisqu’elle nous raconte que, ce qu’elle préfère dans la vie nocturne d’Oslo, ce sont les nachspiel (le mot norvégien pour « after ») un peu hors du temps, quand le soleil se lève et qu’on continue à boire et à danser malgré la fatigue, exactement comme dans les quelques instants du film où elle apparaît. « J’avais juste des scènes de soirées, et, franchement, on s’est tellement amusés… C’était pour une seule séquence, mais avec les tests lumière je suis restée sur le tournage neuf jours. C’est là que j’ai rencontré un peu toute l’équipe. »

« J’en avais tellement marre des mauvais scripts que pendant un moment j’ai pensé à devenir charpentière. »

Si cette rapide expérience lui a semblé marquante, ce n’était pas vraiment encore son heure. Alors que Renate Reinsve raconte s’être bien donnée dans des séries comiques norvégiennes ou dans des pièces d’avant-garde russe, le métier d’actrice commençait à ne plus trop la faire vibrer juste avant Julie (en 12 chapitres). « J’étais prête à abandonner. Parce qu’à notre époque, au moins en Norvège, la situation économique fragilise les projets artistiques, plusieurs projets auxquels je tenais ont été compromis. J’en avais tellement marre des mauvais scripts que pendant un moment j’ai pensé à devenir charpentière. Et c’est là que Joachim m’a appelée. J’attendrai donc avant de commencer une carrière dans le bois. »

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FUREUR DE VIVRE

Joachim Trier s’est souvenu de Renate Reinsve, qu’il a continué à fréquenter après Oslo. 31 août. « Oslo, c’est tout petit, on se croise souvent, par-ci, par là… Avec Joachim, on finit toujours par avoir des conversations complètement existentielles. Il faut dire qu’on a un peu la même façon de voir la vie, l’amour, ce qu’on doit en faire, quels choix faire… On a beaucoup parlé de ça, des choix. Imaginons : vous êtes dans une relation avec quelqu’un, mais vous avez une touche avec quelqu’un d’autre. Vous ne voudriez pas stopper un petit peu le temps pour voir ce que ça pourrait donner avec cette nouvelle personne ? Julie est confrontée à ça, et c’est tellement humain. »

Trier lui a donc composé un rôle sur mesure, qui reflète ses questionnements autant que les siens, même si tous deux appartiennent à des générations différentes. Elle incarne cette étudiante à l’ardeur de vivre inaltérable, qui veut tout expérimenter, et qui paraît arriver en décalage dans la vie d’Aksel (Anders Danielsen Lie), son amoureux quadra (et possible projection de Trier) qui au fil des années a vu tous ses amis gagnés par une sorte de mollesse, engoncés dans leur confort petit bourgeois. Un personnage parfaitement « trierien » – dans Oslo. 31 août (2012), le protagoniste (Anders Danielsen Lie, déjà lui) sortant de désintox peinait lui aussi à se trouver des points communs avec ses plus proches amis, trop bien installés.

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Mais, là où ce film s’avançait grave et écorché, Renate Reinsve, par toute sa loquacité, sa drôlerie et son piquant naturel, tire cette fois Trier vers la comédie. Contre le temps qui s’accélère, la nostalgie et la résignation qui gagnent progressivement les autres personnages, l’actrice envoie toute sa légèreté, même si celle-ci a évidemment un contrepoint – Reinsve se dit d’ailleurs fan de films très noirs, Antichrist ou Requiem pour un massacre, ce qui nous la rend encore plus attachante. « Ce que j’aime dans le fait de vieillir, c’est que personne n’y comprend rien. Hier, il y a un type de 60 ans qui m’a interviewée et qui m’a dit : “J’ai encore tout à apprendre.” J’adore cette attitude », conclut l’actrice, pour qui l’âge semble finalement peu importer, pourvu qu’on ne cède pas à l’abattement.

L'actrice sera présente ce 9 septembre au mk2 Bibliothèque pour l'avant-première de Julie (en 12 chapitres).

: Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier, Memento (2 h 08), sortie le 13 octobre

Photo de couverture : © Julien Liénard pour TROISCOULEURS

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