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Pascal Greggory raconte Patrice Chéreau

  • Quentin Grosset
  • 2014-01-30

SUR SA RENCONTRE AVEC PATRICE CHÉREAU

La première fois que j’ai vu un spectacle de lui, c’était La Dispute de Marivaux. J’étais un jeune acteur et je suis sorti de là transfiguré. Je ne connaissais rien de son œuvre et, tout à coup, je me suis dit qu’il fallait que je travaille avec lui. Ce n’est pas arrivé tout de suite mais, en même temps, à chaque fois qu’il montait un spectacle, j’allais le voir. Je m’étais rendu à la représentation de Peer Gynt à Lyon parce que j’avais des amis qui jouaient dans la pièce. Dans les coulisses, on a un peu parlé, et ensuite il m’a raccompagné jusqu’à la gare, sur le quai, ce qui était à la fois invraisemblable et évident. C’était comme un rendez-vous manqué au fond. Plus tard, on s’est croisés dans un restaurant à Paris, il allait monter Hamlet au Festival d’Avignon et je lui ai demandé si je pouvais participer. Tous les grands rôles étaient pris, alors j’ai accepté d’apparaître seulement quinze minutes sur un spectacle de cinq heures. Ce n’était pas humiliant, mais c’est plus difficile pour un acteur car il faut faire exister un personnage très rapidement. Je ne peux pas dire que j’étais très heureux à ce moment là, sauf que la représentation avait lieu dans la Cour d’Honneur et que c’est la seule fois de ma vie que j’ai pu y jouer. Puis l’acteur qui interprétait Horacio a dû abandonner la tournée, et je l’ai remplacé. C’est véritablement là que notre relation de travail a commencé.

SUR PATRICE CHÉREAU ET LES ACTEURS

Au théâtre, Patrice était très proche de nous, un mètre, deux mètres. Il préférait rester sur la scène que d’aller nous écouter dans la salle. Mais il avait beaucoup de suspicion envers les comédiens. En même temps, il avait un grand respect pour le métier, qui était une énigme pour lui. Son ambition était de nous pousser toujours beaucoup plus loin que ce qu’on lui proposait. Il nous répondait toujours « non », c’était très déroutant, et il fallait aller au-delà de ce « non ». Au début, il ne m’aimait pas en tant qu’acteur, car il n’appréciait pas les films de Rohmer. Il s’est ensuite rendu compte à quel point celui-ci était essentiel pour le cinéma français. Mais, bon, il pensait à juste raison qu’il y avait un certain dilettantisme de ma part,  que mon engagement pour le théâtre et le cinéma n’était pas nécessaire et vital. Et puis il a compris que j’avais énormément de capacités pour dépasser ça.

SUR L’HOMME BLESSÉ

Pour moi, c’est son œuvre la plus importante. C’est un film sur les sentiments qui n’arrivent pas à s’exprimer. Comment faire pour vivre ensemble ? Comment s’aimer alors qu’autour rien n’est fait pour que deux personnes s’unissent ? Toute l’œuvre de Patrice est là. Ça rejoint sa propre vie à lui, cet homme qui ne s’aimait pas, qui ne comprenait pas qu’on puisse l’aimer. J’ai vécu avec lui pendant sept ans, on s’est mutuellement apporté des choses essentielles, ça a été un bon échange.

SUR LEURS COLLABORATIONS LES PLUS MARQUANTES

Quand j’ai lu Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès, je n’ai vraiment rien compris. Ce n’est pourtant pas une langue compliquée, c’est une langue qu’on ne parle pas. Quand on y adhère, on saisit tout. Il y a des soirs où j’oubliais ce que je disais, mais ce n’est pas grave car, dans la vie, il arrive qu’on parle sans savoir ce que l’on dit. Lui, il jouait le dealer, et moi je jouais le client. Ça a été la cristallisation de nos rapports dans le travail comme dans notre vie commune. Il y avait sûrement quelque chose de très fébrile sur scène, de très magique aussi. Un autre souvenir très important pour moi, c’est Ceux qui m’aiment prendront le train, parce que c’était la première fois qu’il me donnait un premier rôle au cinéma. Le film parlait beaucoup de la mort, ça l’intéressait beaucoup. Ça ne veut pas dire qu’il était mortifère, mais il allait beaucoup aux enterrements, il y trouvait une source d’inspiration phénoménale.

SUR SA DERNIÈRE COLLABORATION AVEC CHÉREAU

La dernière fois que j’ai joué pour lui, c’était sur Rêve d’automne de Jon Fosse. On l’avait créé au Louvre, dans une salle carrée entourée d’œuvres monumentales. Moi j’arrivais quand le Louvre se vidait, vers 18h30, et je me promenais tout seul. Ça n’arrivera plus à personne au monde, car même quand il y a des visites privées il y a toujours une vingtaine de personnes. Avant d’entrer en scène, j’attendais devant la Joconde. On a fait dix représentations et après on a joué au Théâtre de la Ville. Ça a été un peu difficile pour nous, acteurs, parce qu’on avait l’impression d’être pris en otage par les autres œuvres, on se sentait minuscule mais c’était assez transportant.

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