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MICROSCOPE : la belle lenteur de Jean-Paul Belmondo dans « Le Voleur » de Louis Malle

  • Jérôme Momcilovic
  • 2021-11-03

Comme le diable, le cinéma se loge dans les détails. Geste inattendu d’un acteur, couleur d’un décor, drapé d’une jupe sous l’effet du vent : chaque mois, nous partons en quête de ces événements minuscules qui sont autant de brèches où s’engouffre l’émotion du spectateur. Ce mois-ci : une langueur fugace entre les gestes de Jean-Paul Belmondo, dans « Le Voleur » de Louis Malle.

Quand il est mort le mois dernier, on s’est d’abord rappelé Jean-Paul Belmondo par la vitesse. À toutes jambes chez Godard, ou plus tard en équilibre Bébel sur toits, métros, bateaux, de Paris à Rio. Et dans les deux cas son rythme de boxeur, solide mais aérien : un éclair, du début des années 1960 à la fin des années 1980. Mais Belmondo était une star et pas seulement un acrobate. Or, même agile, une star ne s’impose que dans la lenteur.

La belle lenteur de Belmondo, on la trouvait également déjà chez Godard. C’est une petite latence, quand il parle et surtout quand il répond, une fraction de seconde pendant laquelle deux-trois gestes ourlés préparent la parole, font un tremplin pour la réplique. Un truc de charmeur, mais dans un timing méticuleux : plus court, on ne sentirait pas ce silence ; plus long, ce serait trop de cérémonie. À bout de souffle, justement, a poussé d’emblée cette latence à son maximum d’incandescence, en volant à Humphrey Bogart un geste fameux de doigt qui glisse sur la bouche. Un détail, un tout petit geste, ample pourtant comme un mouvement de danse, qui retient l’attention du spectateur en même temps que le rythme du film, bref suspend tout à son profit, absorbe tout comme un trou noir. Le spectateur de l’époque ne l’avait pas forcément vu, mais Belmondo à cet instant est devenu une star.

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Ensuite cette petite lenteur, cette petite latence, est devenue une marque plus ou moins subtile de flegme. L’empreinte de cette distance que Belmondo, enfant de la balle devenu dandy popu, semblera garder en toutes circonstances, mais qui dans les films prendra différentes colorations, et c’est en cela que Belmondo, star à 27 ans, était aussi un acteur. Il y a un film assez peu connu de sa carrière, ni d’ailleurs de celle de son auteur Louis Malle, où Belmondo explore avec une assiduité particulière ces moments de brève lenteur.

Dans Le Voleur (1967), où il campe un cambrioleur apparemment détaché de tout (si ce n’est l’amour de sa cousine, jouée par Geneviève Bujold), elle résume un peu le personnage, qui semble flotter dans son propre secret – vole-t-il pour se venger de son milieu ? par goût ? parce que c’est un métier comme un autre ? Chaque petite lenteur de Belmondo fait ici glisser derrière elle sa traîne de mystère – et bien sûr, de magnétisme. Avec Bernadette Laffont, qui n’apparaît qu’une poignée de secondes dans un rôle de soubrette, c’est particulièrement érotique (et à la fois très drôle). Il quitte une soirée mondaine (on est à la fin du xixe siècle), elle apporte son manteau, et en trois-quatre répliques c’est réglé : la soubrette le laisse voler la clef de sa chambre et lui en donne la direction en feignant de s’offusquer.

La scène dure une minute. C’est assez pour que Belmondo fasse trois demi-tours sur lui-même, chaque fois avec la même lenteur – en entrant dans la pièce, puis quand il passe le manteau tendu par la soubrette, enfin au moment de s’engager dans l’escalier qui mène à la chambre). Trois demi-tours en une minute : trois entrées en scène plutôt qu’une. Et trois fois le désir qui redouble, pour la soubrette comme pour le spectateur, mystifiés par le même tour de passe-passe : plutôt que la chambre de la fausse ingénue, ce sont les coffres à bijoux que le voleur part inspecter à l’étage.

Photos : Le Voleur de Louis Malle (1967) (c) D.R.

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