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SPECTACLE · Portrait de Marlène Saldana, qui revisite avec brio le « Showgirls » de Verhoeven

  • Quentin Grosset
  • 2023-02-08

Très remarquée dans les pièces de Christophe Honoré (« Les Idoles », Le Ciel de Nantes »…), la comédienne, danseuse et performeuse Marlène Saldana creuse depuis deux décennies un théâtre génialement foutraque et déviant. Avec son complice Jonathan Drillet, elle revisite sur scène le clinquant « Showgirls », film culte de Paul Verhoeven, et en tire un spectacle vertigineux.

Comme nous, Marlène Saldana fait partie des gens qui vouent un culte tordu au film Parking de Jacques Demy. Flamboyant ratage renié par l’auteur de l’immense Les Parapluies de Cherbourg, cette adaptation rock ringue du mythe d’Orphée donne son lot de moments gracieusement cheap, louches, hilarants, bizarres, dégénérés. Dans l’appartement du Quartier latin où elle habite depuis qu’elle est arrivée de Lyon à Paris au début de la vingtaine, et dans lequel elle a longtemps été en coloc, avant d’y vivre solo, l’actrice dégage ses chats, Mon Colonel et Don Diègue, de la table du salon et s’extasie sur le film, un penchant qui dit tout son goût pour le vrillé et le déconcertant : « Quand même, Jacques Demy voulait David Bowie pour le rôle d’Orphée, et il a eu Francis Huster ! C’est mon film préféré de lui, c’est un désastre. » C’est justement en incarnant, toute de fourrure vêtue, un Jacques Demy explosant tous ses placards dans la pièce Les Idoles (2018) de Christophe Honoré – qui fantasmait la réunion sur scène de six créateurs gays dont l’œuvre a été bouleversée par le sida – que la comédienne, née en 1978, a reçu un coup de projecteur, elle qui évolue depuis deux décennies dans le théâtre underground. « Ça a été une drôle d’expérience, les gens debout, cette adhésion presque totale. J’ai reçu le prix du Syndicat français de la critique, ça m’a fait tellement rire ! Je me suis retrouvée avec mon diplôme, et je me demandais : comment je suis arrivée là en ayant fait autant de conneries ? »

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Avec son complice Jonathan Drillet, avec qui elle forme le collectif The United Patriotic Squadrons of Blessed Diana et conçoit des spectacles depuis 2008, elle réinterprète sur scène un autre film maudit, le génial Showgirls de Paul Verhoeven. « Les gens qui viennent voir Showgirl en s’attendant à voir ce que je fais pour Christophe Honoré, ils vont faire : “Euuuh…” Et c’est assez régalant, bien entendu », prévient Saldana. Conspué à sa sortie, le film Showgirls raconte l’arrivée à Las Vegas de Nomi Malone, danseuse aux rêves de gloire. Avec son mauvais goût revendiqué, c’est une ode jouissive à la vulgarité dans laquelle s’instille une critique de l’industrie du spectacle. Le film jouit depuis d’une belle aura dans les sphères queer, et le milieu drag en a largement fait son quatre-heures. « La culture pédée, c’est mon monde depuis que je suis gamine, même si je ne suis pas homosexuelle. Ma mère était laborantine dans les années 1980, au moment où personne ne voulait faire les analyses pour le V.I.H.-sida qui touchait beaucoup la communauté gay. Dans mes toilettes, il y avait un poster du virus, et sur la table du salon les livres d’Hervé Guibert. »

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UNE DANSE DE MAUVAIS GOÛT

Saldana redanse Showgirls, mais interprété en quatrains de décasyllabes sur la musique de Rebeka Warrior, et adresse au film une lettre d’amour joyeusement camp, une litanie aux rimes pauvres aussi furieuse que régressive. « Je danse en string avec un lustre en forme de bite qui descend, je me roule par terre, je lève la jambe en hurlant. J’imagine le spectateur qui se dit “Je vais me cacher, je ne peux pas regarder ça”, ça me rend dingue. » Entre deux pole dances légendaires, l’actrice disserte sur RuPaul, Sergueï Eisenstein, le slut-shaming, la scène du pilon de poulet dans Killer Joe de William Friedkin (dont elle est fan), et surtout sur les tombereaux de bile déversés après la sortie de Showgirls sur Elizabeth Berkley, l’interprète de Nomi Malone. « Elle a cru qu’elle deviendrait Sharon Stone, et elle s’est fait traîner dans la boue. Ce qui nous intéressait aussi, c’est ce que ça raconte sur ce que c’est qu’être actrice. »

ROLLER COASTER

On lui demande alors si, quand elle assène « Je suis Nomi Malone, et je suis là pour danser » dans le spectacle, il n’y a pas quelques points d’identifications, si elle aussi a vécu des doutes ou des désillusions. « Plus au cinéma qu’avec la danse ou le théâtre. Les castings, ça me gonfle ! Une fois, à une audition, je devais jouer une nana dans un commissariat qui pique un flingue et le met dans la bouche du flic. Il n’y avait pas de flingue, donc je le mimais. À un moment, je me suis vue mettre mes doigts dans la bouche du réa­lisateur, j’ai dû lui faire mal avec mes ongles. Il disait : “Coupez, coupez !” » Si on l’a vue au cinéma chez ses amis Honoré ou Jeanne Balibar, Saldana se sent bien au théâtre, mais pas n’importe lequel. « Ado, le théâtre que j’aimais, c’était celui d’Alain Françon [metteur en scène, ancien directeur du Centre dramatique national de Lyon, puis du théâtre national de La Colline, ndlr].

Mais, avant d’arriver à Paris, j’ai fait un stage avec lui, et je l’ai trouvé tellement sinistre et chiant que je me suis aperçue que ce n’était pas du tout ce que je voulais faire. » Elle se tourne alors vers un théâtre plus outrancier (et aussi plus fulgurant) avec ces créateurs qu’elle élit comme famille, Yves-Noël Genod, la compagnie du Zerep de Sophie Perez et Xavier Boussiron, Boris Charmatz (le premier à lui avoir proposé de danser), Jonathan Drillet, Jonathan Capdevielle… « Je crois que je fais ce travail pour avoir tout le temps l’impression de faire une grosse bêtise. Avec le Zerep, on faisait une pièce qui s’appelait Oncle Gourdin, on y jouait des lutins. Je lançais des animaux empaillés, ça me faisait rire toute seule parce que je cherchais les bons angles pour que la charogne de renard vole tête face au public. » Un attrait pour le grotesque donc, mais aussi un vrai souci de la complexité, un refus du didactisme – qui lui vient peut-être de ses études d’anthropologie. « Avec Jonathan, on fait des pièces politiques, mais sans faire la leçon. J’aime qu’on ne sache pas comment on en est arrivés là. » En quittant Marlène Saldana, nous voilà donc passés au même roller coaster que Nomi Malone perdue dans les lumières du vertige Vegas.

Showgirl, de Marlène Saldana et Jonathan Drillet, du 8 au 11 mars au Théâtre national de la danse de Chaillot

Images (c) Narcisse Agency

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