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« Lost Country » de Vladimir Perišić : Serbie intime

  • Margaux Baralon
  • 2023-10-06

[CRITIQUE] Aussi sobre que bouleversant, le deuxième long métrage de Vladimir Perišić, presque quinze ans après son premier film, "Ordinary People", confirme son goût pour les dilemmes moraux des jeunes garçons. Et sa volonté d’explorer l’histoire récente, chaotique et douloureuse, de la Serbie.

Stefan a le visage encore rond de l’enfance, mais déjà plus tout à fait juvénile d’un adolescent de 15 ans. Comme s’il ne pouvait plus échapper à l’âge adulte qui pointe sous les pommettes et les arcades, prêt à durcir les traits, charriant avec lui son lot de responsabilités et de désillusions. Nous sommes en 1996, en Serbie, et Stefan s’apprête à grandir d’un coup à la faveur des élections municipales. Sa mère, Marklena, est la nouvelle porte-parole du gouvernement socialiste de Slobodan Milošević. Lorsque l’opposition gagne à Belgrade, la voilà qui disparaît pour préparer la riposte, les discours accusateurs et les pots-de-vin pour faire annuler le résultat. Le jour, Stefan entend ses copains et leurs grands frères se motiver pour manifester en faveur de leurs droits civiques. La nuit, cette mère, qu’il étreint d’autant plus fort que son père est absent, lui jure qu’elle défend leur Serbie et ne truque pas le scrutin.

Que faire quand on a 15 ans et qu’on est pris dans un tel conflit intérieur ? Dans Lost Country, ce n’est pas seulement un pays que l’on perd, mais bien une famille – celle de Stefan s’est construite sur le mythe d’un grand-père résistant communiste pendant la Seconde Guerre mondiale qui a appelé sa fille Marklena parce que c’est la contraction de Marx et Lénine – et une jeunesse encore innocente. Le réalisateur serbe, qui a coécrit le film avec Alice Winocour, travaille comme un pointilliste, ajoutant plan après plan une touche signifiante, un détail ou un regard qui vient étoffer chaque personnage. Cette mise en scène précise s’organise autour de répétitions grimaçantes : un repas avec les grands-parents, source de joie simple, devient insupportable à mesure que la politique s’immisce entre le plat et le dessert ; une étreinte complice avec la mère se révèle douloureuse après une manifestation. Vladimir Perišić combine la maîtrise à l’épure, faisant confiance à Jovan Ginić, jeune acteur faussement maladroit, et à la magistrale Jasna Đuričić, matriarche inflexible, pour mettre en mouvement la disparition d’un vieux monde… qui ne s’effacera pas sans entraîner quelques êtres vers le fond.

Lost Country de Vladimir Perišić, Rezo Films (1 h 38), sortie le 11 octobre

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