En couv' de notre nouveau numéro : Christine Angot brise le tabou de l'inceste

ÉDITO · Il « suffisait » d’ouvrir la porte. Mais quelle force, quelle pugnacité, quelle masse fallait-il pour qu’en France les verrous scellant le secret le moins secret de la société, l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, cèdent enfin. Alors que Christine Angot s’évertue à l’ouvrir par la littérature depuis les années 1990 – et s’est longtemps vu claquer la porte au nez –, des ouvrages comme Le Consentement de Vanessa Springora, La familia grande de Camille Kouchner et Triste Tigre de Neige Sinno produisent enfin, depuis le début de notre décennie, des effets très concrets.

La familia grande a lancé le MeTooInceste, puis a poussé le gouvernement à créer la Ciivise (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants) en mars 2021, coprésidée par Nathalie Mathieu et le juge Édouard Durand – inexplicablement non reconduit fin 2023 alors que son travail était unanimement salué. À la lecture du Consentement, l’actrice Judith Godrèche a reconnu la situation qu’elle-même dit avoir vécue avec le réalisateur Benoît Jacquot à partir de ses 14 ans, ce qui l’a amenée, en février, à porter plainte contre lui et contre le cinéaste Jacques Doillon pour viol sur mineur. Puis à témoigner avec force dans les médias, à prendre la parole le 23 février à la cérémonie des César, ouvrant un peu plus encore la porte. « Je parle, je parle, mais je ne vous entends pas », s’est-elle étonnée devant la « grande famille du cinéma français ».

Il est crucial que les personnes ayant subi un inceste ou des violences sexuelles puissent s’exprimer (et pas seulement les femmes : la veille des César, le comédien Aurélien Wiik a lancé le hashtag MeTooGarçons), mettre en mots, créer des images. Comme le fait Christine Angot dans son premier film, le documentaire majeur Une famille, qui commence par un geste déterminant, inédit, jusqu’ici impensable : elle, victime d’inceste, met littéralement le pied dans la porte d’une personne qui refuse d’écouter. « Ce qui se joue en ce moment grâce à votre témoignage, à vos prises de parole, dépasse votre personne et votre histoire », a déclaré Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes au Sénat, à Judith Godrèche lors de l’audition de celle-ci le 29 février. Grâce à l’actrice, à Christine Angot et à tous et toutes les autres, ceux qui gardaient la porte comme des Cerbères tremblent enfin.

Mais est-ce suffisant pour changer une société en profondeur ? Impériale et humaine à son audition devant une délégation sénatoriale à majorité de femmes, Judith Godrèche a lancé des pistes : la création d’une commission d’enquête sur les violences sexuelles dans le cinéma, le retrait du président du CNC Dominique Boutonnat (qui s’apprête à comparaître devant la justice, accusé par son filleul d’agression sexuelle et de tentative de viol en 2020) et le retour du juge Durand à la tête de la Ciivise. Car, comme elle l’a encore dit, demeure une interrogation glaçante : « Combien de petites filles, de petits garçons, combien de petits pieds dans la porte seront nécessaires avant que cette société réagisse pour toujours ?» TIMÉ ZOPPÉ.

AU SOMMAIRE DU N°205

EN BREF 🏃‍♀️

L’ENTRETIEN DU MOIS - GENEVIÈVE SELLIER 

SCÈNE CULTE - FRANCES HA DE GRETA GERWIG 

NOUVELLES STARS - LILITH GRASMUG ET SARAH GANEM 

L’INTERVIEW KIDS - REBECCA CHAILLON 

CINÉMA 🎬

EN COUVERTURE – UNE FAMILLE DE CHRISTINE ANGOT

DÉCRYPTAGE - LE CINÉMA PEUT-IL SAUVER L'HÔPITAL ? 

PORTRAIT - LOUISE BOURGOIN 

ENTRETIEN - KIRSTEN DUNST 

CINEMASCOPE : LES SORTIES DU 13 MARS AU 1er MAI 

CULTURE 🎨

LIVRES - LA LITTÉRATURE PEUT-ELLE ÊTRE POLITIQUE ? 

SON – WARRIORECORDS 

+ UN CAHIER MK2 INSTITUT DE 10 PAGES EN FIN DE MAGAZINE

Comme d'habitude, vous pouvez récupérer gratuitement la version papier dans tous les mk2. Pour les digital natives, rendez-vous ici, pour vous dégoter la version pdf !