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I.A. QUOI ? · Carte blanche à Maxence Stamatiadis

  • Maxence Stamatiadis
  • 2023-08-24

Dans ses courts et moyens métrages, le jeune cinéaste Maxence Stamatiadis compose avec l’imaginaire de celles et ceux qu’il filme en l’investissant d’une technologie pleine de fulgurances, de bugs et d’étrangeté.… Cette semaine, c’est lui qui nous guide à travers les mondes créatifs, bizarres et mélancoliques des I.A.

L’édito de Maxence Stamatiadis : Melancol.I.A.

Fin 2020, Disney + diffuse l’ultime épisode de la 2ème saison de son hit The Mandalorian. Au terme de leurs péripéties, le héros éponyme et son acolyte olivâtre Grogu sont acculés sur le pont de commandement d’un vaisseau par une armée de robots assassins. Soudain, une silhouette encapuchonnée apparaît, arpentant les coursives en dézinguant les androïdes à coups de sabre laser. Lame verte, main gantée de noir... L’évidence s’impose bientôt au spectateur averti : sous la capuche du preux sauveur, il ne peut s’agir que de Luke Skywalker, le héros de la trilogie originale.

Pourtant, selon la chronologie de la série, Luke aurait la trentaine. Or, son interprète, Mark Hamill, a plus de 70 balais et s’est juré de ne plus jamais jouer dans la saga. Nos tripes se nouent lorsqu’après avoir exterminé le dernier robot, le sombre chevalier se révèle enfin.

Et le miracle se produit : regard azur, figure amène, voilà Luke tel que nous l’avions quitté 30 ans plus tôt. Pour mesurer la puissance de cette apparition, il faut regarder sur YouTube les dizaines de live de spectateurs secoués de sanglots irrépressibles. Luke est revenu, et pourtant… Il suffira de quelques secondes pour que le carrosse redevienne citrouille : dès ses premiers mots, quelque chose cloche. Sa bouche s’anime bizarrement, ses yeux ont une fixité artificielle : Luke est tout simplement mal fait. Le rêve ne pouvait être que fugace, inévitablement nous devons nous réveiller.

Comment des ados sur TikTok parviennent-ils à créer des imitations parfaites de Tom Cruise ou de Keanu Reeves alors que Disney, pionnière dans la technologie du deepfake, livre un résultat si frelaté ? C’est en diggant sur Reddit qu’émerge une piste de réponse technico-anthropologique. Le deepfake consiste à apposer sur un visage filmé un masque virtuel qui en épouse les expressions. Mais pour la résurrection de Luke, une étape intermédiaire a été ajoutée : entre la doublure et le masque, se glisse une modélisation 3D de l’acteur. Étape énigmatique puisque précisément elle amoindrit la qualité du résultat : l’imperfection serait-elle voulue ?

Le blockbuster (lucasien en particulier) est le champ du cinéma qui investit le plus pleinement la question du retour, de la résurrection, et le sujet si intime du deuil. Peu de films d’auteur ont déployé une énergie aussi désespérée pour faire revenir les disparus que les sagas à millions. On peut y voir un calcul mercantile pour attirer les légions de boomers dopés à la nostalgie. Ou bien croire qu’il reste encore un vestige de sensibilité, nichée au cœur du monstre tentaculaire qu’est devenu Hollywood. Si Luke est si mal fait, est-ce alors parce que le deepfake serait une technique sacrilège, comme on dit en nécromancie d’un sort ? Disney se refuse-t-elle à faire revenir pleinement son héros disparu ? Faudrait-il produire des résultats bluffants mais qui laissent toujours voir la trace de leur artifice ? Comme si au fond, le cinéma devait rester un art du trucage, ne jamais donner entièrement l'illusion de la réalité. Les disparus doivent reposer en paix, le cinéma ne produira que des petits miracles.

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Le retour de Luke est déjà vieux de deux ans et il suffit de voir la séquence d’ouverture du dernier Indiana Jones (2023), pour constater que s’il y a eu un tabou à exploiter le deepfake au cinéma, il a désormais été levé. Là encore, notre héros d’enfance nous apparaît d’abord à visage couvert, captif d’un bataillon nazi. Mais une fois débarrassé de sa cagoule, Indy est parfaitement animé. On a beau scruter pour déceler le bug, le mal fait, l’imitation est sans faille. Harrison Ford, la quarantaine (81 ans en vrai), castagne du SS sous nos yeux, avec ses célèbres mimiques ; sa voix a même été rajeunie.

Et pourtant, quelque chose manque toujours. Ici encore, c’est du côté technique qu’il faut chercher une réponse. Le film recourt au  de-aging, un procédé qui consiste à filmer le vrai Harrison Ford et à rajeunir numériquement son visage. Mais si The Irishman de Martin Scorsese (2019) nous a enseigné une leçon, c’est qu’on a beau rajeunir un acteur, on ne peut pas gommer la vieillesse dans sa manière de se mouvoir, de marcher, de parler. En témoignaient les corps expérimentaux de De Niro et Pacino. Même constat pour Harrison Ford qui, sous le lifting numérique, reste un octogénaire qui se meut et parle comme tel. Le charme, l’aura et la vitalité qui ont fait la légende de l’acteur ont disparu. Harrison Ford ne peut plus se réinventer, seulement se rejouer.

Si le deepfake a résisté si longtemps au cinéma, c’est peut-être parce que la vérité qu’il contient est implacable : il n’y a rien de l’autre côté du miroir. On pourra toujours pousser plus loin l’artifice, palier la technique, trouver des subterfuges, on ne peut pas ressusciter une âme disparue. Dans les images, quelque chose manquera toujours. La mélancolie est définie comme un sentiment de perte, sans qu’on sache ce qui est perdu. Le deepfake, qui fait trembler Hollywood et les médias, ne serait-il en réalité qu’une machine complexe de mélancolie ? Une technologie futuriste finalement capable de ne produire que des images du passé pour tenter de faire revenir un monde à jamais enfui.

I.A. PLAYLIST

Une téléréalité entièrement en deep fake où des (fausses) célébrités se livrent des guerres de voisinage. La saveur du pitch n’a d’égal que la limite du dispositif qui, passé l’effet waouh, renvoie inévitablement au constat que l’I.A., sous toutes ses formes, n’est aujourd’hui qu’un outil, certes très puissant, mais qui ne comble pas le manque d’imagination de ceux qui s’en servent.

La vidéo “leakée” du moteur de jeu du prochain GTA fait une démonstration impressionnante de la gestion des fluides. Voir simplement de l’eau s’écouler de manière (presque) réaliste dans un labyrinthe de plages virtuelles est déjà profondément mélancolique. Ajoutez-y l’errance d’un crash dummie sans visage qui joue à se noyer et il ne manquerait plus qu’une voix off anémiée pour faire le prochain film de Poggi et Vinel.

En 2017, la publication anonyme sur Youtube de cette websérie de 25 épisodes interrogeait les spectateurs : s’agit-il d’une fiction ou bien d’une véritable creepy pasta, ces légendes urbaines du Web ? Dans ce faux Let’s Play - vidéos où un joueur fait la démonstration d’un jeu -, le narrateur se propose de tester une démo Playstation des nineties, reçue mystérieusement par la poste. Mais rapidement le jeu buggue et le petit avatar coloré se retrouve dans une enfilade d’espaces liminaux, infra-monde lynchien où des I.A. errent telles des damnés des pixels. Au fil d’une enquête vertigineuse se dessinent les contours d’un récit familial torturé sur les traumatismes de l’enfance, qui hante encore longtemps après.

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