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Garance Marillier : « J’ai toujours pris cher physiquement sur les tournages. »

  • Margaux Baralon
  • 2023-06-02

[Portrait] On l’a découverte en jeune cannibale dans « Grave » de Julia Ducournau, en 2017, alors qu’elle n’avait que 18 ans. Depuis, l’actrice a soigneusement évité l’omniprésence, préférant des apparitions rares mais singulières. Dans « Marinette », biopic de la footballeuse Marinette Pichon, elle s’attaque pour la première fois au cinéma grand public. Mais garde la même façon physique de se jeter à corps perdu dans un rôle.

La veille, malade, elle nous a fait faux bond. « Je ne savais pas que cela existait encore, les intoxications alimentaires », dit-elle en s’excusant, le jour J. Être trahie par son corps ne doit pas arriver si souvent à Garance Marillier, qui en a fait son outil de travail. Comme toutes les actrices, serait-on tenté de penser. Mais, chez elle, c’est un peu plus que cela.

Le jeu passe par les tripes avant le cerveau. « Ce qui m’intéresse, c’est comment on transforme le corps. Que ce soit pour incarner un personnage d’époque, ou pour Marinette, où j’ai dû faire de la muscu pendant six mois». Dans ce biopic réalisé par Virginie Verrier, la comédienne incarne Marinette Pichon, première star féminine du football français et la meilleure buteuse des Bleues jusqu’en 2020. Une fille d’ouvrier, sauvée de son père violent par l’abnégation de sa mère et par l’amour du ballon rond. Garance Marillier n’est pas fille d’ouvrier mais, lorsqu’elle ne mouille pas le maillot devant la caméra, elle transpire en short et en crampons avec son équipe féminine, le Gadji FC. Cela ne l’a pas dispensée d’un entraînement « hyper intense ». Payant, puisque la comédienne n’a eu aucune doublure.

Reste que, le premier jour du tournage, quand elle s’est« retrouvée avec cent cinquante figurantes que Virginie était allée chercher en première division féminine », elle a eu l’impression d’être « une imposture ». « Il n’y avait aucun répit. J’avais rendez-vous à 7 heures du matin pour m’échauffer avant de faire et refaire les scènes. Quand on prenait une semaine de repos, en réalité on tournait des scènes familiales très compliquées. C’était toujours intense, soit physiquement, soit émotionnellement. J’ai travaillé dur. »

EN ATTAQUE

C’est une constante chez elle. Garance Marillier comprend que c’est indispensable à 12 ans, sur son premier tournage. Sa mère tombe sur une annonce pour caster un garçon manqué avec de la repartie, et pense immédiatement à sa fille. L’adolescente « en jogging et en gros sweat » se retrouve face à une femme de près de deux mètres, « super belle », qui lui demande d’improviser un clash de cour d’école. « Elle m’attaquait sur mon physique. Je n’avais aucun recul, je prenais tout pour moi. Au deuxième rendez-vous, je lui demande où est la réalisatrice. Et là elle se tape des barres. » La géante magnifique, c’est Julia Ducournau.

La cinéaste veut raconter l’histoire d’une petite fille qui devient femme en se débarrassant littéralement de sa peau d’enfant. Ce court métrage, Junior, est déjà, dix ans avant son Titane palmé d’or à Cannes, une histoire de monstre qui se révèle. Ducournau a beau protéger son actrice débutante, Marillier garde un souvenir éprouvant du tournage. « J’ai tout fait à l’instinct. Pour une scène, j’avais une sorte de transe dans des toilettes. J’ai mis toute une nuit à me sortir de ça, j’avais des spasmes. J’ai compris que je ne pouvais pas continuer comme ça. Si je veux jouer des choses fortes qui me transcendent, il faut que je puisse me sortir de cet état quand on coupe la caméra. J’ai décidé de prendre des cours de théâtre. » Sans surprise, la method acting façon Actors Studio, avec des acteurs qui restent dans leur personnage pendant des mois, « c’est pas [s]on délire ».

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Pour Marillier, la technique permet de s’apprivoiser sans se brider.« Justement, on peut être sereine et explorer plus de choses parce qu’on sait qu’on maîtrise, explique cette grande admiratrice d’Isabelle Huppert. Il y a toujours des fois où des émotions inimaginables nous submergent. Mais je sais où je vais, ça ne part pas dans tous les sens. » Julia Ducournau, qui la dirige une deuxième fois en 2012 dans le téléfilm Mange, la prévient d’ailleurs avant de lui proposer le rôle principal de Grave : « Tu ne me refais pas le truc des toilettes. »

Pour incarner Justine, étudiante vétérinaire végétarienne qui prend goût à la chair humaine après avoir mangé de la viande, il lui faut façonner ce corps frêle. Lui donner une allure adolescente au début, plus féminine à la fin. Dans le film, il sera malmené, gratté jusqu’au sang, frappé, mordu. Garance Marillier s’en amuse presque.« J’ai toujours pris cher physiquement sur les tournages. Je n’ai jamais le blues à la fin, parce que j’ai seulement envie de dormir trois mois non-stop. »Impossible avec Grave, sorti en 2017, alors qu’elle prépare le bac. Le film connaît un succès mondial, et il faut cumuler la promotion et les études. La dernière ligne droite d’une scolarité parfois douloureuse pour cette hyperactive qui sait déjà qu’elle veut se consacrer au cinéma.

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DÉFI SUR DÉFI

Il faudra attendre deux ans pour la revoir. Dans Pompéi d’Anna Falguères et John Shank, elle fait tourner la tête d’Aliocha Schneider quasiment sans parler, juste en étant là, brindille en jean baskets aux grands yeux noirs. Puis encore deux ans avant de la retrouver en prostituée dans Madame Claude de Sylvie Verheyde. Ce corps, auquel Garance Marillier « en demande tellement », se prête à un nouvel exercice : revêtir un porte-jarretelles et danser lascivement. « Cela me mettait face à quelque chose qui me faisait peur. Mais c’est pour ça que je fais ce métier, pour ce moment où tu sors de ta zone d’intimité. »

Grave lui a ouvert les portes des États-Unis, où elle a joué dans Warning d’Agata Alexander, un film de science-fiction inédit en France. Marinette Pichon, première footballeuse française à faire carrière outre-Atlantique, a découvert en 2002 l’exigence des entraînements au sein de l’équipe de Philadelphie. Près de vingt ans plus tard, Garance Marillier a connu la même chose en tant qu’actrice.« Ce n’est pas la même musique, pas le même rythme. Tu as l’impression de réapprendre à marcher. »

À 25 ans, Marinette est son premier projet grand public. Même si un biopic sur une footballeuse lesbienne n’a pas été facile à financer. « Ça aurait été plus simple de faire un biopic sur Zidane. » Même pour elle. « Les femmes dans le foot sont invisibilisées, il y a peu de matière à partir de laquelle construire un personnage. » Parmi ses prochains défis, refaire du théâtre, encore quelque chose qui lui « faisait peur »,jusqu’à ce qu’elle foule les planches pour la première fois, en janvier dernier, dans une adaptation de l’essai Sorcières de Mona Chollet. Et faire évoluer le Gadji FC. Mais pas question d’augmenter à tout prix la cadence des tournages.« Je veux choisir mes rôles pour de bonnes raisons. Défendre des personnages et des récits différents. » Et, bien sûr, « muscler [s]on jeu ».

Marinette de Virginie Verrier, The Jokers / Les Bookmakers (1 h 35), sortie le 7 juin

Portrait : © Paloma Pineda pour TROISCOULEURS

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