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NOUVELLE STAR · Frankie Wallach : « Le cinéma calme ma phobie de la mort »

  • Léa André-Sarreau
  • 2023-09-12

Dans « Le Livre des solutions » de Michel Gondry, elle campe avec aplomb et malice l’assistante d’un cinéaste procrastinateur (Pierre Niney). Le rôle lui va comme un gant, puisque la comédienne a déjà réalisé une première autofiction passionnante sur l’héritage familial (« Trop d’amour »), entamant une œuvre d’une grande maturité.

Quand on lui demande de se définir, Frankie Wallach, silhouette bohème et regard ardent, botte en touche : « Avant, je me présentais par rapport aux autres : « je suis la fille de », « la sœur de »... Aujourd’hui je te dirai simplement que je tâche tout le temps les gens quand je mange. Je suis très maladroite et très ancrée. Ambivalente donc. » Investiguer sur soi en prenant les détours de l’altérité : ce trouble autobiographique est au cœur du travail de la comédienne et réalisatrice de 29 ans, qui a mis du temps à embrasser son appétit pour le jeu. « Un jour dans mon lycée, Isabelle Nanty est venue faire un talk. Elle nous a demandé ce qu’on voulait faire dans la vie. J’ai répondu très sérieusement : ‘Dentiste et comédienne’. Je cherchais un métier pour me rassurer » confie-t-elle.

En 2019, après un passage à King’s College en Angleterre pour étudier le cinéma – où elle est foudroyée par les 400 coups de Truffaut, ce qui ne l’empêche pas d’assumer une passion de jeunesse pour Princesse malgré elle, grand écart culturel oblige - elle se fait connaître avec Kneidler, décapant épisode de websérie collaborative dont la star est… sa grand-mère, Julia. Birkenstock aux pieds et manucure impeccable, celle qui fut déportée à Auschwitz-Birkenau en 1943 y partage sa légendaire recette de boulettes, en papotant coiffure tout en montrant sans honte le numéro gravé sur son avant-bras.   

JE EST UNE AUTRE 

C’est la naissance d’une actrice (Julia), et d’une cinéaste (Frankie) qui cultive avec insolence l’art du contrepoint : « Si on additionne deux choses joyeuses ou tristes, on perd tout. Ça me rappelle ce que Raphaël Quenard dit dans Yannick [de Quentin Dupieux] quand il interpelle les acteurs pour leur dire qu’il a envie de suicider… Pathos + pathos = 0. La nourriture, c’est la vie. Ma grand-mère a manqué mais aujourd’hui, elle a. Et la nourriture, c’est aussi la transmission, la résilience ». Pour rendre éternelle cette survivante de la Shoah (« Le cinéma calme ma phobie de la mort »), Frankie Wallach décide de tourner, en parallèle de ses cours de théâtre à L’Ecole du jeu à Paris, une tumultueuse autofiction, Trop d’amour (2020). De vrais membres de sa famille (sa grand-mère et son père) y côtoient des acteurs professionnels (Bastien Bouillon, Agnès Hurstel), chargés d’interpréter ses autres proches.   

Trop d'amour de Frankie Wallach (c) UFO Distribution

L’objectif ? Interroger leur relation à Julia, à son passé traumatique. Entre docu et fiction, le film flirte avec la séance de psychanalyse en creusant les ramifications taboues, l’héritage martelé de secrets de cette « famille de fous », débordante d’amour et de non-dits. Il semble se déployer à l’ombre de Maurice Pialat et de Maïwenn, dans sa façon de transformer l’énergie électrique des acteurs en matière romanesque. Même si Frankie Wallach revendique aussi une filiation avec Pater d’Alain Cavalier, « pour son dispositif libre, sa façon d’assumer la caméra. Utiliser l’iPhone permet de faire croire à une intimité : si tu vois le backstage, tu te dis que tout ce que tu vois, ce sont des moments volés, comme dans Trop d’amour, où on me voit filmer Julia avec mon téléphone. »   

BAS LES MASQUES 

Frankie Wallach excelle à brouiller les pistes, exhibe les artifices de sa mise en scène pour renforcer, avec un captivant paradoxe, le sentiment de « vrai ». Au point de se perdre volontairement elle-même ? Etrangement, cette confusion érigée en art a éclairé sa pratique d’actrice. Comme si, en passant derrière la caméra, elle avait renoncé à se travestir. « Je travaille à ne pas essayer d’être désirée. Avant, je pensais que ne pas essayer d’être désirée, c’était s’en foutre. J’ai passé des castings pour Abdellatif Kechiche où j’étais totalement mytho. Je me grattais le nez, je faisais genre que je ne le regardais pas. C’était faux : je jouais. Je n’étais pas prise aux castings parce que j’avais une nonchalance fabriquée. La réalisation m’a permis de sortir d’un truc de séduction », précise avec une sincérité confondante celle qui a débuté les tournages à l’âge de 8 ans, chez Lisa Azuelos ou encore Josée Dayan. Avec la fin de la séduction est venue l’ère du doute : « Après Trop d’amour, j’avais peur de ne plus tourner, d’être trop identifiée en tant que réalisatrice, et que ça fasse peur aux cinéastes, car c’est un pouvoir. Alors que moi, je veux me faire embarquer en tant que comédienne. »  

Trop d'amour de Frankie Wallach (c) UFO Distribution

Cet aplomb n’a pas fait fuir Michel Gondry, qui lui a confié, dans Le Livre des solutions, le rôle de l’assistante très débrouillarde de Marc (Pierre Niney), réalisateur despote et mégalo incapable de boucler le montage de son dernier film. Avec cette héroïne intransigeante et fonceuse, Frankie Wallach semble avoir trouvé un parfait double fictif, à qui elle prête son abnégation féroce, et son intensité généreuse. Frankie Wallach n’a pas fini d’explorer les territoires inquiets de la biographie romancée, puisqu’elle prépare l’écriture d’un second film « inspiré d’un épisode de [sa] vie à 16 ans »« Mais pour ce projet, je vais aller très loin dans la fiction » précise-t-elle, un air de défi dans les yeux. Histoire de nous prévenir qu’on peut toujours tenter, en vain, de percer les mystères de son identité caméléon.  

Portrait (c) India Lange

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