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Festival d'Avignon : 6 spectacles pour sortir des sentiers battus

  • Belinda Mathieu
  • 2023-07-20

Dirigé pour la première année par le metteur en scène portugais Tiago Rodrigues, le festival d’Avignon prend des chemins de traverse. Notre sélection de spectacles exhorte à se balader hors des sentiers battus et à déplacer le regard. Elle invite à déambuler, en intérieur ou dans la nature, au son d’une steel guitar ou du chant des cigales. Elle questionne les identités, en traçant des voies d’émancipation pour les corps racisés, colonisés, exotisés. Elle fait entendre des voix féministes et transcende les normes de genre. Focus sur six spectacles et autant

G.R.O.O.V.E., Bintou Dembélé

L’une des pionnières du hip-hop en France, Bintou Dembélé façonne depuis plusieurs années des spectacles qui mettent sur un pied d’égalité chorégraphie, voix et musique. Après avoir cocréé avec Clément Cogitore Les Indes galantes en 2017, réécriture de l’opéra-ballet du compositeur baroque Jean-Philippe Rameau, elle reprend les mêmes questionnements dans G.R.O.O.V.E., une performance déambulatoire. Danseurs et danseuses de krump et de voguing investissent les espaces de l’Opéra Grand Avignon, dans lesquels résonnent le chant de Célia Kameni et les riffs de la steel guitar de Charles Amblard. Façon de concrétiser la recherche de la chorégraphe autour d’une danse « marronne », en écho aux groupes de personnes noires esclavagisées qui retrouvaient la liberté pour fonder des sociétés autonomes, cette pièce s’affirme comme un acte de résistance et d’émancipation.

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Paysages partagés, Stefan Kaegi et Caroline Barneaud

Et si le paysage devenait théâtre ? Créé sur les hauteurs de Lausanne et remonté à Pujaut, dans la garrigue, Paysages partagés est l’ambitieux projet de Stefan Kaegi et Caroline Barneaud. Le cofondateur de la compagnie berlinoise Rimini Protokoll, qui multiplie les pas de côté formels, et la curatrice ont convié des artistes internationaux à investir le paysage pour créer sept pièces, qui mobilisent le public pour sept heures de déambulation à l’extérieur. Écho à des questionnements pressants sur l’habitat et sur notre relation à ce que l’on nomme communément la « nature », cette pièce exhorte à changer de perspective en permanence : tour à tour passagers d’un drone en réalité virtuelle avec Begüm Erciyas et Daniel Kötter, projetés dans des sensations animales avec Sofia Dias et Vítor Roriz ou contemplateurs d’une nature omnisciente qui pérore avec El Conde de Torrefiel. 

Écrire sa vie, d’après l’œuvre de Virginia Woolf, Pauline Bayle

Après son succès d’Illusions perdues, dans une version épurée du roman, et ses précédentes adaptations, Iliade et Odyssée, la metteuse en scène Pauline Bayle s’entiche d’un autre mastodonte de la littérature : Virginia Woolf. Inspirée par le roman Les Vagues (1931), qui suit le parcours et l’évolution des relations d’un groupe d’amis de l’enfance à l’âge adulte, elle déploie un récit d’apprentissage, l’une de ses marottes. Avec comme défi de traduire et de donner corps, sur un plateau de théâtre, au stream of consciousness de Woolf, narration singulière qui traduit un monologue intérieur, elle promet de déployer la densité et la complexité de ces personnages. La pièce fait aussi écho à d’autres pans de l’œuvre de Woolf, comme une de ces réflexions, toujours aussi actuelle : comment écrire quand il n’y a pas de futur ?

The Romeo, Trajal Harrell 

Il s’est fait connaître en explorant les liens entre danse savante post-moderne et voguing : l’Américain Trajal Harrell, virtuose d’une danse hyper émotionnelle, prend d’assaut la Cour d’honneur cet été. Le directeur du Schauspielhaus Zürich Dance Ensemble, compagnie dont il est artiste associé depuis 2019, y fait vibrer The Romeo, sa nouvelle création, dans laquelle il fait du célèbre personnage tragique shakespearien un archétype chorégraphique. Sur scène aux côtés de plus d’une dizaine d’interprètes, il déploie des gestes qui traversent une multitude de mondes et d’histoires : des paysages bucoliques des Alpes aux côtes agitées du Japon, en passant par la steppe d’Amérique du Nord. S’affirme une danse qui catalyse les tragédies de chacun, à la fois particulières et universelles, qui dépasse l’origine, le genre et les générations.

Marguerite : le feu, Émilie Monnet

Artiste à l’œuvre pluridisciplinaire, Émilie Monnet prend à bras le corps les questions d’identité, de langage et d’héritage à travers installations, performance et théâtre. Montréalaise d’origine anichinabée (ensemble de nations autochtones d’Amérique du Nord) et française, elle œuvre pour trouver des ponts entre les communautés autochtones du Québec et le reste du monde. Marguerite : le feu s’inscrit dans un triptyque avec l’installation performative Marguerite : la pierre et le podcast Marguerite : la traversée, dans lesquels elle met en scène sa rencontre avec Marguerite Duplessis, autochtone esclavagisée et première personne à demander justice devant le tribunal de Québec. Dans un ensemble qui mêle poésie, interviews, langue et chants autochtones, elle fait surgir sur le plateau une période coloniale violente. Un hommage à cette résistance, belle manière de réactiver la mémoire.

Carte noire nommée désir, Rébecca Chaillon 

Performeuse intense et engagée, Rébecca Chaillon met en scène des pièces dans lesquelles le corps est au centre, soutenues par une scénographie désordonnée. Avec Carte noire nommée désir, elle réunit huit artistes noires sur scène pour un spectacle loufoque qui défonce les clichés racistes et sexistes pour mieux charrier essentialisation, exotisation et instrumentalisation des corps. Dans un ensemble carnavalesque et libérateur, les comédiennes font sonner une satire aussi grinçante que jouissive, qui prend la forme d’une danse exotique façon Joséphine Baker sur « Try to Remember », titre emblématique de la pub pour le café Carte Noire, ou encore d’un dîner scatophile qui se moque de la grande bourgeoisie. Rébecca Chaillon et ses acolytes n’hésitent pas à prendre de l’espace dans une chaleur sororale touchante, avec la complicité d’un public de femmes noires installées à côté d’elles sur la scène.

77e édition du festival d’Avignon, du 5 au 25 juillet

SIX FEMMES PUISSANTES : Rébecca Chaillon

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