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EXPOS : L'union fait la force

  • Julien Bécourt
  • 2023-03-28

« Au-delà », « Avant l’orage », « Exposé·es »… En ce début de printemps, les expositions collectives ont le vent en poupe. Rituels occultes, sanctuarisation de la nature, déconstruction du genre ou obsolescence de l’humanité : l’art y reflète le changement d’ère et un désir de réinvention du monde, toutes générations confondues.

Ça ne s’arrête plus ! En l’espace de quelques années, et en dépit de l’effondrement brutal du marché durant la crise du Covid-19, tout le monde s’accorde à dire que Paris est redevenu le centre de gravité du monde de l’art. La célèbre foire Art Basel s’y est même délocalisée (avec Paris+), se substituant à la FIAC et pulvérisant tous les records de chiffre d’affaires lors de sa première édition en 2022. Conséquences de ce rebattage des cartes : les monographies patrimoniales sont à la traîne, tandis que les expositions collectives fleurissent comme des boutons d’or au printemps. Transdisciplinaires et transhistoriques, elles se présentent comme des vitrines de la création contemporaine, tout en exhumant des œuvres issues de collections privées.

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CHAUDRON MAGIQUE

De mars à septembre, c’est une véritable corne d’abondance. Sous la direction artistique de Rebecca Lamarche-Vadel, l’exposition Au-delà se déploie sur les trois niveaux de la fondation Lafayette Anticipations, transformée en chaudron magique où résonnent les bourdons d’orgue de la compositrice américaine Kali Malone. Sous-titrée « rituels pour un autre monde » et se présentant comme « un voyage qui invite à la métamorphose », elle rassemble des artistes de toutes générations et de toutes obédiences. Du rituel païen au culte vaudou, l’exposition englobe d’un seul tenant l’archaïque et le contemporain, et aligne côte à côte vestiges archéologiques et pièces contemporaines réalisées in situ. Les végétaux cristallisés de Bianca Bondi et les armures de textile de Jeanne Vicerial y avoisinent une peinture de Wifredo Lam, un rituel filmé d’Ana Mendieta ou une stèle punique. Un étage plus haut, les piliers de résine d’Eva Hesse côtoient une sculpture cronenbergienne d’Ivana Bašić et les captations vidéo des cérémoniaux de Romeo Castellucci. Certaines pièces, splendides, pâtissent néanmoins un peu de la scénographie, dont la théâtralité – drone, pénombre et solennité emphatique – résiste mal à la configuration du lieu.

Image (c) Martin Argyroglo

À quelques foulées de là, la Bourse de Commerce s’attache au déclin de l’humanité à l’âge du « capitalocène ». « Avant l’orage » accueille sous son dôme les sublimes installations de Danh Vō, Tacita Dean, Pierre Huyghe, Diana Thater ou Hicham Berrada, puisées par Emma Lavigne dans la collection Pinault. La prise de conscience du dérèglement climatique y prend les atours d’une beauté tragique, où l’on contemple entre émerveillement et effroi des troncs d’arbres, prisonniers d’un échafaud de bois, un singe à masque humain livré à lui-même dans la zone contaminée de Fukushima, des paysages de précipités chimiques en transformation perpétuelle ou de majestueuses volutes de fumée accomplies à la craie sur un tableau noir. Tout aussi sidérants, les immenses panneaux tachés de jaune de Cy Twombly livrent une interprétation de la rotation du Soleil, en hommage aux dieux de la Grèce antique. Il règne sous la rotonde une étrange sérénité de fin du monde, où la menace est d’autant plus prégnante qu’elle demeure invisible. Nul doute que le philosophe Gaston Bachelard, source d’inspiration pour maints plasticiens et maintes plasticiennes, aurait apporté des réponses métaphysiques à cette résurgence de motifs eschatologiques.

Pour les soixante ans de sa disparition, agnès b. lui consacre précisément un hommage, à travers une sélection d’œuvres de sa collection. Les jeunes pousses (Emma Charrin, Caroline Corbasson, Adrien Degioanni…) y côtoient des artistes plus établis, donnant corps à sa « poétique de l’espace » ou à sa « psychanalyse du feu ». Une fois avoir célébré la messe noire et s’être offert le frisson d’un monde sans humains, on peut s’offrir un détour par le Mac/Val de Vitry-sur-Seine. C’est là que l’exposition « Histoires vraies » ouvre ses portes et poursuit les questionnements sur l’identité déjà soulevés avec « Lignes de vies » en 2019. Pour ce deuxième volet, la fiction et l’onirisme empiètent sur le réel et génèrent des récits joyeusement excentriques – des films Super 8 de Marie Losier aux installations de Jean-Charles de Quillacq, en passant par les contes fantastiques d’Alice Brygo ou les entités spectrales de SMITH. Orchestré par Frank Lamy, ce raout collectif témoigne notamment de la vitalité de l’esthétique camp, kitsch et tapageuse. L’exposition est foisonnante et offre un généreux espace d’expression à des artistes émergents, au risque que les œuvres s’entredévorent à force de saturation.

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James Chance, Anya Phillips and Glenn O’Brien in TV Party © Photo Bobby Grossman.

CORPS COLLECTIF

Au Palais de Tokyo se fait jour une proposition bouleversante, aux enjeux viscéralement politiques : « Exposé·es ». Face à l’épidémie de sida dans les années 1980-1990, le militantisme n’est pas un choix mais un acte de survie. Conçue par François Piron à partir du livre Ce que le sida m’a fait. Art et activisme à la fin du xxe siècle de l’écrivaine et critique d’art Élisabeth Lebovici, l’exposition réunit de grandes figures de la lutte contre le sida : Nan Goldin, Felix González-Torres, Hervé Guibert, Guillaume Dustan, David Wojnarowicz, Jesse Darling, Derek Jarman ou encore le collectif de lesbiennes-­activistes Fierce Pussy. Montrées ainsi d’un seul tenant, les œuvres forment un chœur autant qu’un corps collectif, et ravivent la flamme d’un art offensif dont on ressent plus que jamais le besoin. La colère et l’urgence restent aujourd’hui intactes, démontrant que l’activisme et la pratique artistique sont indéfectiblement liés. Même constat en traversant l’exposition « Who You Staring At? » au Centre Pompidou, qui revient sur une période fertile de l’avant-garde new- yorkaise et invite à se pencher sur le courant no-wave des années 1970-1980, versant radical et conceptuel du mouvement punk. En rupture avec les circuits de l’art contemporain et de l’industrie musicale, sa posture dilettante continue de faire des émules.

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« Au-delà. Rituels pour un nouveau monde », jusqu’au 7
 mai à Lafayette Anticipations

« Avant l’orage », jusqu’au 11 septembre à la Bourse de Commerc
e - Pinault Collection

« Bachelard contemporain », jusqu’au 30 avril à La Fab.

« Exposé·es », jusqu’au 14 mai au Palais de Tokyo

« Histoires vraies », jusqu’au 17 septembre au Mac/Val (Vitry-sur-Seine)

« Who You Staring At? », jusqu’au 1er mai au Centre Pompidou

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