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Patrick Fabre : « Je ne programmerai jamais tièdement un film »

  • Laura Pertuy
  • 2023-10-13

Longtemps journaliste cinéma sur la radio Europe 2, à la télévision et dans la presse magazine (Première, Studio…), « voix » enthousiaste commentant la montée des marches cannoises, programmateur à Gérardmer, Cognac et Deauville, il officie désormais en tant que directeur artistique du Festival international de cinéma de Saint-Jean-de-Luz. Nous avons rencontré Patrick Fabre à l’occasion du 10e anniversaire de cet événement à la sélection défricheuse et à l’ambiance extrêmement conviviale.

Quel regard portez-vous sur le travail accompli, sur ce que vous avez insufflé au festival ?

Je voulais que ce soit un festival fait pour les bonnes raisons. À sa création en 2016, le Festival des Jeunes Réalisateurs était, comme beaucoup d’autres, destiné à prolonger la saison, à mettre la station en valeur. Je n'ai eu de cesse de recentrer sur le cinéma, en fidélisant le public, de plus en plus nombreux [il y a eu près de 9000 spectateurs cette année, contre 7200 l’an dernier, ndlr], en proposant un programme de qualité et une convivialité de tous les instants. J’aime l’idée que les gens profitent d’un moment à la plage et se disent : « Oula, faut que je file, je vais être en retard au cinéma. » J'avais l’envie d’un endroit où il fait bon être, bon regarder des films et bon partager.

Pour un festival de notre envergure, le fait de montrer en compétition dix premières nationales est un résultat très concret. C’est le fruit d’un travail de confiance avec les distributeurs, voire avec des producteurs, comme TS Productions, grâce à qui nous avons pu présenter Dissidente de Pier-Philippe Chevigny et Rossosperanza d’Annarita Zambrano cette année. Je mesure aussi le chemin parcouru en constatant la confiance du public qui va acheter ses pass les yeux fermés, avant même de connaître la programmation. L’une des spécificités du festival, c'est que la grille permet de tout voir ! Et puis on a commencé en faisant des interviews à la sauvette, et aujourd’hui on a un plateau télé avec cinq caméras ; on se demande si ça ne va pas devenir une vraie émission l'an prochain...

Rossosperanza d’Annarita Zambrano

Vous établissez la programmation, courts et longs confondus, seul. Comment abordez-vous ce numéro d’équilibriste ?

Le festival a comme sous-titre la formule « Cinéma d’avenir », avec cette idée de défendre des cinéastes en devenir, dont on a envie de voir le travail sur le long terme. Je peux mettre ma tête sur le billot pour tous les films sélectionnés ; je sais pourquoi je les présente, pourquoi j'en ai envie, et je ne programmerai jamais tièdement un film. Une vraie bonne sélection à mon sens, c'est des creux et des bosses.

Le collectif « Sous les écrans la dèche » [créé en 2020, il réunit des travailleurs et travailleuses de festivals de cinéma, ndlr] le montre, les équipes des festivals sont très précaires, ce qui explique pourquoi je compose la programmation seul, même si je suis très bien traité par mes employeurs. Cela dit, j'aime bien le fait d'être responsable, ça m’oblige vis-à-vis du public, des journalistes et des invités. Ça ne m’empêche pas de demander conseil, bien sûr ! Comme il est impossible financièrement de m’envoyer aux quatre coins du globe, je travaille en bonne intelligence avec les gens qui font un vrai travail de défrichage, à savoir les distributeurs. Ils parcourent le globe, vont dans tous les festivals et marchés du film, trouvent des pépites et ont ensuite besoin qu'on les expose.

Quels sont les titres que vous avez été particulièrement ému de projeter au Sélect, le cinéma du festival ?

Tous, mais j’ai été content de montrer Rossosperanza parce qu'au-delà de ce que représente le film, cette projection marquait le retour au festival d’Annarita Zambrano, et je suis extrêmement attaché aux liens que l’on tisse avec les cinéastes. J’ai aussi été très heureux de présenter Les Lueurs d'Aden d’Amr Gamal [en salles le 10 janvier, ndlr] et Yurt de Nehir Tuna [prix du Syndicat français de la Critique et prix de la mise en scène du jury, ndlr], parce que c'était la première fois que des réalisateurs venaient de si loin pour échanger avec le public.

Yurt de Nehir Tuna

L'an dernier, on avait eu la chance de recevoir Maksym Nakonechnyi, le réalisateur de Butterfly Vision, qui avait eu la permission de sortir d'Ukraine. C'était quand même très étrange de discuter en salle avec un cinéaste pendant que son pays était sous les bombes et que son boyfriend était au front.

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Et puis j’ai aimé présenter La Vie de ma mère de Julien Carpentier, hors compétition, parce qu’Agnès Jaoui et William Lebghil, qui étaient tous deux membres du jury, forment un tandem très touchant, mais aussi parce je crois qu'on commence seulement à comprendre qu’Agnès Jaoui existe en elle-même, qu’elle n’est pas une moitié de binôme.

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La compétition dans son ensemble peut s’enorgueillir de mettre en avant des réalisatrices, leur lutte pour la justice sociale, leur pratique artistique ou la sororité… Vous avez été administrateur du Collectif 50/50. Pensez-vous la sélection en termes militants ?

La montée des marches des 82 à Cannes en 2018 [un rassemblement initié par le Collectif 50/50, appelant à la parité au sein de l'industrie, et rassemblant le nombre de femmes retenues en compétition pour la Palme d’or par le festival depuis sa première édition, ndlr] a été un moment bouleversant pour moi. Par la suite, j’ai trouvé géniale la signature de la charte 50/50, mais aussi incroyable qu'on ait besoin de ça pour qu’il y ait du changement. . En réaction épidermique, j'ai monté un jury exclusivement féminin, présidé par Corinne Masiero, cette année-là.

À ceux qui m’ont lancé : « C’est ça, pour vous, la parité ? », j’ai rétorqué que ça ne semblait pas trop les gêner quand les jurys étaient exclusivement masculins. Ensuite, j'ai pris la décision de rendre la compétition courts métrages paritaire, sans rien céder sur la qualité évidemment, puisqu’« étrangement », je note que les femmes ont des choses à dire, en plus de choses à filmer.

En revanche, on a l’impression que certains réalisateurs n’ont rien contre le fait de faire des films anodins. Pour l’instant, je n’ai pu appliquer cette parité qu’aux courts métrages car il y a du volume, ce qui est beaucoup moins le cas pour le long, d’autant que je suis limité aux premiers et seconds films. Et, comme les études du Collectif 50/50 le montrent, énormément de réalisatrices ne passent pas le cap du premier long métrage. Quoi qu’il en soit, pour la compétition, je tends à la parité car il est essentiel pour moi que les réalisatrices soient représentées.

: Festival International du film de Saint-Jean-de-Luz

Photo : © Christophe Brachet

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