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MC danse pour le climat : « La fête permet de lier nos solitudes réciproques » 

  • Joséphine Leroy
  • 2023-07-12

[DANS LA FÊTE] Sous le pseudo « MC danse pour le climat » se cache Mathilde Caillard, une militante écolo de 25 ans, membre du collectif Alternatiba Paris, qui s’est rendue célèbre sur les réseaux, en mars dernier, en postant une vidéo géniale devenue virale où elle danse sur de la techno en pleine manif contre la réforme des retraites.

Cet article fait partie du dossier DANS LA FÊTE, publié dans le magazine n°199. Retrouvez tous les autres en suivant ce lien.

Comment est venue l’idée de faire cette vidéo à la fois protestataire et festive ?

Avec mon collectif Alternatiba Paris, nous étions plusieurs à nous occuper de l'animation du cortège. Nous avions pour cette fois-ci un gros camion avec un gros dispositif de son. Rémi et Éva ont eu l'idée de balancer des slogans politiques sur de la grosse techno. Les slogans ont été écrits avant – comme toujours, on réfléchit ensemble à trouver de nouveaux messages politiques à scander. Le jour J, on était plusieurs à danser, à chanter. Un ami a pris la vidéo. Je l'ai publiée quelques jours plus tard pour inciter les gens à venir à la manif d'après, et la suite, vous la connaissez. 

Sur les réseaux, la vidéo a suscité des critiques parfois violentes. Qu’est-ce que ces réactions révèlent de la société ?

Je pense que ce qui a principalement dérangé, c’est que je suis une jeune femme qui utilise son corps pour porter un message politique. Je décide d’incarner mon corps, de l’extraire du rôle « passif » auquel il est habituellement cantonné en tant que corps féminin. Un corps offert au regard des hommes puis scruté par eux, que je me réapproprie pour danser. Ensuite, je l’extrais de son rôle de « force de travail », dans l’ordre capitaliste, pour effectuer un acte non marchand.  Vous n'imaginez pas le nombre de personnes qui m'ont écrit « va bosser », comme si danser et donc ne plus, le temps d'un instant, être un corps qui « produit » était inconcevable pour beaucoup, et très dérangeant.

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On m’a aussi accusée de desservir la cause. Ces personnes ignorent l’histoire des luttes, le fait qu’on dansait sur de l’accordéon dans les usines lors du Front populaire, ou la performance « El violador eres tú » du collectif féministe Las Tesis, au Chili [populariséeen 2019, lors de manifestations contre les violences faites aux femmes, ndlr]. Ces fesses tristes n’ont toujours pas compris qu’on lutte contre l’oppression, mais pas contre la vie, la joie, le fait d’être ensemble.

Qu’est-ce qui définit pour vous la nuit ?

La nuit c'est l'heure des possibles. C'est grisant, électrique et envoûtant. Et en même temps, la nuit enveloppe, protège, captive. Elle se vit en solitaire. Elle éloigne et elle rapproche. La fête permet de lier nos solitudes réciproques, pour les oublier, le temps d'une soirée. La fête c'est la communion, la proximité, la célébration. La joie.

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Quand vous entrez dans une fête, qu’est-ce que vous cherchez ?

Avant toute chose, à danser. Je ne danse pas uniquement quand je fais la fête, mais quand je fais la fête je danse absolument toujours. Je cherche un lâcher-prise, une connexion avec le son, avec mon propre corps, avec la légèreté du vide autour de moi et, seulement après, avec les autres.

Quel est le track qui vous donne envie de danser (en militant) ou de militer (en dansant) ?

Je vais être très corpo mais « Planète Brûlée », le son qu'on a enregistré et diffusé avec Planète Boum Boum, un collectif qu'on a monté avec Alternatiba Paris, avec qui on fait du son et on ambiance des manifs ou des sets. Sinon, en général, pas mal de techno, un peu de funk, vite fait de la disco, mais il faut qu'il y ait des grosses basses avec en plus.

Est-ce que le monde de la nuit vous paraît suffisamment conscient de l’urgence climatique ?

J'ai vu des initiatives super cool comme celle de Deborah Aime La Bagarre [DJ et producteur français, ndlr] qui a décidé d'arrêter de prendre l'avion dans tout son cadre pro et qui a communiqué dessus.

Il y a de plus en plus de collectifs qui se montent, ou qui veulent évoluer. Qui veulent savoir comment aider et comment faire des choses. Je pense qu'il faut que le monde de la nuit, comme les autres milieux artistiques un peu en vue et qui influencent énormément de jeunes, soit moins frileux à prendre position et à porter un message politique. La politique, ce n'est pas un gros mot. C'est simplement avoir un avis sur le monde qui nous entoure, et avoir conscience que les choses ne sont pas une fatalité. Que tout ce qui nous entoure est le fruit d'une décision qui a, à un moment, été prise par des gens. C’est en s'organisant collectivement que l'on peut reconquérir le monde et faire bouger les choses. Nous avons tous notre part à faire.

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Quel est votre dernier souvenir – mémorable, joyeux, jouissif – de fête ?

Après des années de Covid, une dernière fête à La Base, avec Alternatiba Paris et d'autres assos. C’était un lieu militant, un bar associatif trop cool, dans Paris. La Base allait fermer [définitivement ndlr], c'était la dernière fête à l'intérieur. C’était en juin 2022, il faisait une chaleur infernale. C'était très émouvant, on pleurait et on dansait à la fois. 

Votre club favori ?

C’était La Base. Depuis, je me sens un peu orpheline. J’ai pas mal traîné au Social Club il y a quelques années. Ou à La Station – Gare des Mines, pour son ambiance berlinoise. J’adore Berlin.

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Votre scène de fête préférée au cinéma ?

Celle de la pride dans 120 battements par minute de Robin Campillo. La caméra enveloppe ces corps militants, tendres et puissants. En toile de fond, il y a la maladie, la rage de subir l'oppression et l'injustice. À un moment, Nathan [l’un des personnages principaux du film, incarné par Arnaud Valois, ndlr] s'effondre on ne sait pas si c'est d'émotion ou les symptômes de sa séropositivité. C’est souvent dans les plus grands moments de détresse que nous sommes le plus touchés par la solidarité d’autrui. Et cela provoque une joie sincère, presque une forme d’euphorie. C'est un beau parallèle avec le fait de danser dans la lutte. Y compris quand le sujet est sérieux. D'autant plus. Quand on nous aura tout pris, que nous restera-t-il ?

Portrait (c) Basile Mesre Barjon

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