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Jim Jarmusch : « J’ai toujours été du côté des vampires » 

  • Timé Zoppé
  • 2022-11-15

Cet été, le cinéma de Jim Jarmusch est à l’honneur sur Arte, avec la redifusion de « Permanent Vacation », « Down by Law », « Mystery Train », « Night on Earth » et « Dead Man ». L'occasion de se replonger dans la règle de trois cinéphile du réalisateur indépendant, rencontré en 2022 au Festival international du film de Marrakech.

Cet article a été initialement publié en novembre 2022

On a rencontré le réalisateur américain mi-novembre au festival international du film de Marrakech, la veille de de la projection de son sublime film de vampires  « Only Lovers Left Alive » (2014), dans le cadre d’un hommage à l’actrice Tilda Swinton. Alors que le 14 décembre, son culte « Ghost Dog. La Voie du samouraï » (1999) ressort en salles, on a saisi toutes ces occasions pour sonder l’homme sans âge sur sa conception du cinéma et déterrer ses premiers émois cinéphiles.

Etes-vous inquiet quant à l’avenir du cinéma ?
Je dois dire que oui. Enfin, je ne sais pas si ça m’inquiète, mais je vois que c’est en train de changer de manière dramatique. Je trouve ça un peu triste que la perspective de voir des films dans des salles s’efface progressivement. Mais j’aimerais recommander à quiconque lira ces lignes un article écrit par F.W. Murnau en 1928 qui parlait du futur des films [audible, en anglais, sur Youtube, ndlr]. C’est très beau. Plusieurs prédictions sont très justes et certains de ses souhaits sont toujours d’actualité.

En tant que réalisateur, est-ce que vous pensez avoir une responsabilité à l’égard de la société, de l’écologie, des questions de genre, de la politique ?

Pas vraiment, dans le sens où je ne cherche pas à délivrer des messages de manière directe. Ce que je pense des enjeux sociaux actuels, de la politique, est entremêlé, tissé à l’intérieur de mes œuvres. Les spectateurs doivent trouver comment les lire. Je n’ai pas envie de les donner tout cuits comme le ferait un ami ou un porte-drapeau. Je suis très préoccupé par l’effondrement climatique, mais je n’ai aucune envie de faire un film spécifiquement sur le sujet. Mes œuvres offrent des manières d’observer des gens et des situations très modestes, à une échelle microscopique, c’est dans cette forme d’expression cinématographique que je me sens à l’aise. Et puis, j’aime faire des films en imaginant que je m’adresse à une seule personne, pas au monde entier – ça, ce n’est pas mon style, d’autres gens savent le faire.

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Comment vous représentez-vous cette personne à qui vous imaginez vous adresser ?

Comme quelqu’un à qui je tiens, que j’aime ou à qui j’ai envie de m’exprimer en tête-à-tête. Evidemment, j’espère que plus d’une personne aura envie de voir mon film, mais je dois réfléchir comme ça pour me concentrer sur mon travail.

Est-ce que vous vous imposez des limites dans votre mise en scène, dans les représentations ? D’un point de vue éthique, par exemple ?

Je pense que je suis éthique. Je ne juge pas mes personnages, de manière générale. Je n’aime pas les représenter de manière binaire, blancs ou noirs. Des bonnes ou des mauvaises personnes. Tout ça est tellement plus complexe. Je pense que la beauté d’être sur la planète Terre ou même dans l’univers, c’est nos infinies variations, la diversité qui nous compose. C’est pour ça que je ne comprends pas pourquoi la sexualité des gens est divisée en cinq grandes catégories, ça me parait très étrange. Pourquoi n’y a-t-il pas 500 000 catégories plutôt ? Si vous regardez les organismes, la vie des plantes ou les animaux, la variété et la diversité est bien ce qui fait leur beauté. Désolé, je ne réponds pas du tout à votre question.

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Pouvez-vous vous décrire en 3 personnages de films ?

Je n’en ai aucune idée. Par contre – je vais encore dévier de votre question -, je suis très sensible au chiffre trois. Ça se retrouve beaucoup dans la nature, c’est de toute évidence le nombre de la création. C’est très présent dans les mythologies et les religions, comme la Sainte Trinité évidemment. Le chiffre 3 est très magique pour moi. Par exemple, le numéro de ma chambre d’hôtel est divisible par trois, ce n’est pas moi qui l’ai demandé mais j’en suis très heureux.

Vos 3 films de samouraïs préférés ?

C’est très difficile… Bien sûr, Les 7 Samouraïs d’Akira Kurosawa, un chef d’œuvre. Le plus nihiliste et étrange à mes yeux s’appelle Sword of Doom [Le Sabre du mal de Kihachi Okamoto, 1966, ndlr]. Pour le troisième… Je ne sais pas. Il y en a trop. Peut-être celui avec l’enfant dans la poussette, le samouraï qui protège son fils. Je ne me souviens pas du titre, le Wu-Tang Clan utilisait tout le temps le thème en sample dans ses premiers albums [Le Sabre de la vengeance de Kenji Misumi, 1972, ndlr].

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Quel film aimez-vous regarder à 3 heures du matin, les nuits d’insomnie ?

J’ai l’habitude de regarder deux films par jour, donc isoler un seul film est absurde, je n’y arriverai pas. Bon, peut-être Performance, un film du début des années 1970 avec Mick Jagger. Je n’aime pas les questions de ce genre parce que dans 5 minutes je pourrais vous donner une réponse complètement différente.

L’actrice ou l’acteur dont vous étiez amoureux à 13 ans ?

Brigitte Bardot. Je l’ai découverte de manière érotique. C’est un peu embarrassant, mais quand j’avais 13 ans, le film Et Dieu créa la femme est passé à la télé, tard le soir. C’était en Ohio, sur une chaîne publique, ils faisaient attention à l’époque mais cette fois ils ont oublié de censurer la nudité. A cet âge, voir le corps de Brigitte Bardot m’a semblé incroyablement érotique. Elle n’est pas restée le summum à mes yeux puisque j’ai eu l’occasion de voir beaucoup de belles personnes depuis, mais à l’époque, ça m’avait vraiment beaucoup ému.

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3 films que vos parents vous ont montrés, enfant ?

Un jour, on était en vacances en Floride. Ma mère, sans mon père, m’a emmené au drive-in pour voir Thunder Road, dans lequel Robert Mitchum [aussi le coréalisateur et producteur du film, sorti en 1958, ndlr] joue un contrebandier d’alcool. C’est un film dramatique très violent et sombre. Depuis que je l’ai vu, j’adore les films sur le crime. J’étais pourtant très jeune, j’avais peut-être 9 ans, mais ça m’a hanté. J’ai commencé à m’intéresser de près au monde criminel, au cinéma et en littérature. Il y a eu aussi les films de Walt Disney, comme Dumbo. J’ai détesté. Il y avait aussi de la violence dedans, mais très différente. La mère est séparée de son petit, ça m’a traumatisé. Je n’ai plus voulu voir les films pour enfants de Disney après ça. Et pour le troisième film… Avant ma naissance, ma mère était critique de cinéma à Akron, dans l’Ohio. Elle était très ouverte sur ce qu’on regardait, mais elle ne m’a pas forcé à voir quoi que ce soit. Elle me déposait parfois l’après-midi dans une salle qui faisait un double programme de films de monstres, le temps pour elle d’aller faire les courses. J’ai vu des films comme L’Etrange Créature du lac noir, ou Le Blob [Danger planétaire en VF, ndlr], Les Envahisseurs de la planète rouge ou L’Attaque des crabes géants au milieu d’enfants qui hurlaient. J’adorais ça. J’y suis allé plein de samedis après-midi.

Vos 3 personnages de vampires préférés ?

En tout premier, bien sûr, Max Schreck dans le Nosferatu de Murnau. C’est tout simplement le meilleur. J’aime bien les vampires dans Les Prédateurs [de Tony Scott avec David Bowie, Catherine Deneuve et Susan Sarandon, 1983]. J’ai trouvé ça intéressant parce qu’ils s’éloignent de la représentation traditionnelle. Et puis il y a ce film un peu kitsch, eurotrash qui s’appelle The Velvet Vampire [de Stephanie Rothman, 1971, ndlr], un genre de film érotique lesbien softcore. Je ne sais pas pourquoi je pense à celui-là, peut-être parce que je l’ai vu récemment… Il y a aussi tous les films de la Hammer avec Christopher Lee. Mais bien sûr, le numéro un, c’est Bela Lugosi. Disons que Max Schreck et Bela sont les rois des Draculas. Ah, mais il y a aussi un super film d’Abel Ferrara ! Bon, vous voyez, je suis nul pour faire des listes. J’adore les vampires parce que ce ne sont pas des zombies. Ils sont intelligents, prudents, ils doivent protéger leur vie éternelle. Ce ne sont pas des créatures sans cervelle. J’ai toujours été du côté des vampires. J’aimerais qu’ils existent vraiment et qu’ils dévorent les humains. J’adorerais être un vampire et pouvoir continuer de vivre en absorbant toujours plus de choses. Vous imaginez combien de livres, de films et de musiques je pourrais absorber ? Vous me direz, j’ai fait un film qui parle de ça… [Only Lovers Left Alive, ndlr.]

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Vos 3 scènes préférés… tirées de vos propres films ?

C’est comme devoir donner ses préférés parmi ses enfants ! J’ai de la chance de ne pas avoir d’enfants préférés [Jim Jarmusch n’a pas d’enfant, ndlr]. Une fois que j’ai fait un film et que je l’ai montré une première fois à un public, je ne le revois plus jamais. Du coup, je vais plutôt citer des tournages. Par exemple, celui de Down by law [sorti en 1986, ndlr], c’était vraiment très fun à faire. Celui de Dead Man [sorti en 1995, avec Johnny Depp, ndlr] a été incroyablement difficile. C’était très important pour moi. J’ai beaucoup aimé faire Night on Earth [sorti en 1991, avec Winona Ryder, Gena Rowlands, Béatrice Dalle, Roberto Benigni, ndlr] parce que c’était dans plein d’endroits et avec plein d’acteurs différents, de langues différentes aussi, c’était difficile mais ça m’a laissé un bon souvenir.

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3 réalisateurs pour faire un biopic sur vous ?

J’espère que ça n’arrivera jamais ! Pitié, laissez-moi tranquille. Et puis je n’aime pas les biopics du tout, sauf si c’est fait de manière décalée. Par exemple, ceux de Rossellini sur Saint-François D’Assise [Les Onze Fioretti de François d’Assise, 1950, ndlr] et Louis XIV [La Prise de pouvoir par Louis XIV, téléfilm de 1966, ndlr]. Il en a fait d’excellents. J’aime aussi le Marie-Antoinette de Sofia Coppola [sorti en 2006, ndlr], parce qu’elle n’a pas cherché à coller à l’histoire, c’était plus comme un poème. Ça, ça me plait. Je déteste les biopics qui enfilent les moments les plus dramatiques ou importants de la vie de la personne. Ce n’est pas une façon de faire le portrait de quelqu’un... Donc par pitié, ne laissez jamais quelqu’un faire un biopic sur moi. J’en serais horrifié.

Ghost Dog. La voie du samouraï de Jim Jarmusch (Les Acacias, 1 h 56), ressortie le 14 décembre

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