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François Gédigier : « Un monteur doit être un peu obsessionnel »

  • David Ezan
  • 2023-07-13

Monteur de son état, François Gédigier a collaboré avec de grands cinéastes français et au-delà : Patrice Chéreau, Arnaud Desplechin, Philippe Garrel, Mathieu Amalric, Agnès Jaoui, mais aussi Lars von Trier ou Brian De Palma. Tandis que le maître-monteur racontait son expérience sur « Dancer in the Dark » (2000) au Festival de La Rochelle, l’occasion était trop belle de revenir avec lui sur ses collaborations les plus iconiques ainsi que sa vision très personnelle du montage. Rencontre.

Comment êtes-vous devenu monteur ?

Un peu par hasard. Adolescent, j’ai travaillé comme acteur au théâtre avant de m’orienter vers les métiers du cinéma. Michèle Darmon, une amie assistante-monteuse m’a pris comme stagiaire sur Diva (1981), le premier film de Jean-Jacques Beineix. Peu après j’ai rencontré Albert Jurgenson, qui a été le monteur de films aussi différents que Providence (1977) d’Alain Resnais et Les Aventures de Rabbi Jacob (1973) de Gérard Oury. Il était très respecté. C’est lui qui a créé le département montage à la Fémis, puisqu’à l’époque il n'y avait pas de formation au montage dans les écoles de cinéma. On apprenait « sur le tas », comme je l'ai fait. J’ai été son assistant, tandis que je montais des courts métrages le soir et le week-end. J’ai rencontré Pascale Ferran comme ça, puis Arnaud Desplechin dont j’ai monté les premiers films La Vie des morts (1991) et La Sentinelle (1992). Après avoir vu ce dernier, Patrice Chéreau m’a contacté et les choses se sont enchaînées.

Chéreau vous a très rapidement confié le montage du pharaonique La Reine Margot (1994). Quel souvenir en gardez-vous ?

Pendant le montage du Temps et la chambre (1992), une version filmée d’une pièce de Botho Strauss qu’il avait montée à l’Odéon, il préparait La Reine Margot. Il m'a alors proposé de le monter... et j’étais terrifié ! (Rires.) C’était intense, d’autant qu’il fallait que le film soit prêt pour le Festival de Cannes. On a livré en temps et en heure, mais sans tout le recul nécessaire. Et d’ailleurs on l’a retravaillé dès l’été suivant, pour les sorties européennes ; il doit y avoir 4 ou 5 versions différentes, selon les dates de sortie successives. Il y a ensuite eu la version américaine, car le film avait été acheté par Miramax, la société d’Harvey Weinstein. Leur spécialité, c’était de charcuter, de changer la musique, etc. On a préféré leur proposer notre version alternative, mais je ne crois pas qu'ils en aient vraiment tenu compte... Le montage marche à l'usure ; les solutions apparaissent quand du temps a passé, quand on a vu une projection de plus... À l'occasion de la restauration pour Cannes Classics en 2013, nous avons encore fait des changements !

En tant que monteur, vous avez accès à la matière brute tournée par les cinéastes. Qu’est-ce qui différencie les méthodes de Patrice Chéreau, Philippe Garrel, Arnaud Desplechin ?

Chéreau tournait beaucoup en plan séquence, avec des chorégraphies parfois extrêmement compliquées à mettre en place. Il savait dès le départ que le plan serait découpé, mais il cherchait avant tout une intensité de l’acteur – une manière de lui laisser le temps d’investir la scène. Philippe Garrel, lui, cherche l’intensité de la première prise. Il tourne également en plan séquence, mais avec une spécificité : s’il y a un accident en cours de route, il refait une prise sans pour autant reprendre du début. Il y a très peu de sécurité au montage ! Il dit qu'il travaille avec des vieux de la vieille pour éviter tout problème technique et tourner vite ! Chez lui, un accident correspond plutôt à une baisse de jeu. Il a une écoute très fine des acteurs, il répète énormément avec eux avant le tournage. Mais pour lui l’idéal, c’est bien la première prise. C’est d’ailleurs un cinéaste qui n’hésite pas à dire : « On garde le brouillon. » L’imperfection ne le dérange pas.

Vous avez souvent travaillé avec des cinéastes pour qui l’acteur est primordial : Chéreau, Garrel, Jaoui...

Ce sont les acteurs qui m’intéressent au cinéma, avant la maîtrise technique. Avoir passé du temps au théâtre m’a sans doute permis d’être sensible à leur jeu. C’est comme une tension électrique ; la lumière s’allume, puis tout d’un coup elle peut baisser en pleine prise. Mais il y en a certains qu’on ne se lasse jamais de regarder. Je pense par exemple à Jean-Pierre Bacri, qui est d’une justesse folle avec un vrai sens du rythme. Et Valeria Bruni-Tedeschi ; je suis toujours ébloui par ce qu’elle fait dans les premières scènes de Ceux qui m’aiment prendront le train (1998) ! Quand bien même on voit et revoit le film des dizaines de fois durant le montage.

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Plus loin du cinéma français, vous avez participé au montage de Dancer in the Dark (2000) de Lars von Trier. Racontez-nous ?

Nous étions trois Français sur cette production : Catherine Deneuve, Jean-Robert Viallet en tant qu’assistant opérateur... et moi. On m’a proposé de monter les séquences musicales du film, qui avaient toutes été filmées par 100 caméras en simultané. Il y avait une mystique autour de ce concept, comme si cette surabondance allait enfin permettre de tout voir... mais c’était surtout des séquences avec beaucoup de rushes. (Rires.) Ça donnait certes la possibilité à Björk de jouer chaque scène en continu, et sans doute de les tourner plus rapidement. Et puis dans les films de Lars, il y toujours des inventions techniques au service de la poésie. J’étais au départ assez isolé, mais c’était épatant de voir en Lars un auteur et un homme d’affaires indépendant à la tête de Zentropa, cette boîte énorme au service du cinéma scandinave. Ce n’était pas non plus à l’américaine ; tous les vendredis matin, les différents services du studio se réunissaient et les problèmes se réglaient très calmement. Ils chantaient même des chansons !

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Impossible de faire l’impasse sur une autre de vos collaborations, avec Brian De Palma sur Passion (2013). Comment travaille-t-il ?

Je lui ai montré d’emblée un premier montage déjà très resserré, ce qu’il a moyennement apprécié ; il ne faut jamais faire ça la première fois qu’on travaille avec un cinéaste. (Rires.) Mais nous avons réussi à nous accorder, et j’ai finalement adoré l’expérience. Brian est très conscient de ses effets, je n’avais jamais vu une telle maîtrise de l’outil caméra. Il est assez bourru, mais il laisse éclater un enthousiasme juvénile dès lors qu’une scène fonctionne ! C’était le cas pour le long split screen en milieu de film, sur lequel il m’a accordé une entière liberté. Ceci dit, il filme de telle façon qu’on est guidé par sa mise en scène. C’est très précis, le cadre exprime exactement ce que Brian veut raconter.

Avec quel cinéaste avez-vous pris le plus de risques ?

Je dirais Mathieu Amalric, mais c’est surtout lui qui prend des risques ! Chez lui, le script ne s’appelle déjà pas « scénario » mais « outil de tournage » ; on y retrouve certes la structure d’un scénario classique, mais très souvent les scènes ne sont pas dialoguées. Parfois, il se permet d’hésiter et d’écrire : « Peut-être qu’on le tournera ici, peut-être là. » Puis Mathieu réécrit ses scènes pendant le tournage ; chaque matin, il arrive avec de nouvelles propositions. Sa matière est donc très libre, il y a beaucoup d’options. C’est ce qui rend la chose passionnante, puisque le film se trouve concrètement au montage.

Vous avez par exemple travaillé sur son Barbara (2017), qui pour le coup est un vrai film de montage...

Même si la superposition d’archives et d’images fictionnelles était déjà écrite, la structure du film s’est fabriquée au montage. Je me souviens qu’on est allé enregistrer des playbacks avec Jeanne Balibar aux studios Ferber ; le chef-opérateur Christophe Beaucarne est venu, il a filmé l’enregistrement et c’est finalement devenu une scène du film. Mathieu fait feu de tout bois, il est très fort pour accueillir ou provoquer des accidents ; pour Serre-moi fort (2021), il a trouvé un petit bar sur le marché de La Rochelle et il a fait jouer la patronne. Vicky Krieps lui raconte sa vie, tandis que les clients sont de vrais clients. Pour une scène de procès dans La Chambre bleue (2014), il a publié dans un journal local : « Si vous voulez assister à un tournage, venez au Palais de Justice. » Il ne voulait pas de figurants professionnels mais d’authentiques curieux, qui puissent aller et venir librement. Les raccords, ce n’est pas son problème ; après, c’est à moi de me débrouiller !

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À quel point cela rend-il le montage plus difficile ?

Ce qui est intéressant, c’est qu’il tourne souvent en plusieurs périodes. C’était le cas sur Serre-moi fort, mais aussi sur La Chambre bleue si mes souvenirs sont bons. Je peux ainsi commencer à monter la première partie du tournage, ce qui lui donne d’autres pistes pour la suite. Mathieu ne retourne pas de scènes, mais il modifie parfois la structure en fonction de ce premier aperçu. Il a une grande confiance. Et quand bien même il peut être inquiet du résultat au moment du tournage, il sait qu’en torturant un peu les rushes on arrivera forcément à quelque chose.

Selon vous, quelles seraient les qualités essentielles à la pratique du montage ?

Je crois qu’il faut être un peu obsessionnel, car on revient mille fois sur les choses. Il s’agit de rendre au cinéaste l’idée première qu’il a parfois laissée dériver au fil de l’écriture puis du tournage, donc c’est surtout un métier d’écoute. La configuration de la salle de montage s'y prête, puisque je suis face à l'écran et que j’oppose un « 3/4 dos » au cinéaste. Je me retourne lorsqu’il y a quelque chose à creuser, mais la communication passe beaucoup par des signes : un haussement d’épaules, un soupir, un sourire... je ne suis pas très bavard. Tout dépend ensuite de la personnalité des réalisateurs-trices : certains veulent assister à tout le processus, car ils ont peur qu’on leur enlève quelque chose. D’autres préfèrent qu’on les surprenne, d’autant qu’on n’est pas encombré par la mémoire du tournage. Un cinéaste en est si proche qu’il manque parfois de recul.

Crédit portrait (c) Philippe Lebruman

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