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Etienne Ollagnier de Jour2Fête : « Le plaisir est une notion forte, elle doit nous guider, sinon on arrête »

  • Timé Zoppé
  • 2022-02-11

En 2006, il a cofondé Jour2Fête avec Sarah Chazelle, société avec laquelle ils ont distribué d’importants films engagés comme « Papicha », « Merci Patron !, « Un pays qui se tient sage » ou encore « Woman at War ». Depuis 2019, ils se sont aussi lancés dans l’aventure des ventes internationales avec la création d’une filiale, The Party Films Sales. Par téléphone, Etienne Ollagnier est revenu sur leur parcours et les coups de poker qui ont permis d’assoir leur entreprise en ne cédant rien sur leur engagement.

Notre rubrique ENGAGÉ•E•S donne la parole à une personnalité du cinéma ou de la culture. Ils et elles nous racontent leurs engagements à travers les moments-clé de leur parcours.

Comment êtes-vous devenu distributeur ?

 Sarah et moi, on s’était rencontrés à Novociné, une boîte qui était spécialisée dans l’équipement numérique des salles et qui n’existe plus. C’était entre 2000 et 2005 puis, pendant un an, on a fait de la distribution traditionnelle de films 35mm. C’est en sortant quelques films comme ça qu’on s’est mis à apprécier ce métier et qu’on a décidé de monter notre structure, Jour2Fête, fin 2006. Quand on a commencé, on n’était que tous les deux.

On a eu la chance avec le deuxième film qu’on a sorti, Le Bonheur d’Emma, un petit film allemand de quelqu’un d’inconnu en France [Sven Taddicken, ndlr], c’était un film fragile sur le papier mais qui a très bien marché. On a fait pas loin de 80 000 entrées et ça nous a propulsés. La première très belle aventure est arrivée en 2010, avec la sortie d’un documentaire allemand qu’on avait acquis au Festival de Berlin, Les Rêves Dansants d’Anne Linsel et Rainer Hoffmann, qui a été un énorme succès chez mk2. Il est resté un an à l’affiche et a fait 360 000 entrées. Ça nous a permis de sortir six films à l’époque où on était encore tout petits.

On a pu aussi lancer les éditions DVD. En 2012, on a créé un département de ventes internationales, et en 2019, on a fait une opération de croissance externe en rachetant la société de Daniela Elstner, Doc & Film. On a ainsi créé notre filiale de ventes internationales qui s’appelle maintenant The Party Films Sales, et qui représente beaucoup de films - il doit y en avoir 1 200 au catalogue.

« On s’est rendu compte à quel point le cinéma pouvait avoir une portée d’action auprès des gens  »

Qu’est-ce qui vous meut, vous donne envie de faire ce métier ?

Ce qui nous plaît, à Sarah et moi, c’est la diversité. Ce n’est pas connu du grand public mais le métier de distributeur fait la jonction entre la partie artistique et le spectateur. On adore tous ces métiers-là : la partie acquisition, qui est très proche de l’artistique : on fait de plus en plus de films français, fictions ou documentaires - c’est plus de 80 % de nos chiffres maintenant - donc on est systématiquement impliqués dès le scénario, dans une relation très proche avec les producteurs et les auteurs. C’est super intéressant. Après, il y a l’aval du métier, avec les exploitants, le marketing, via la connaissance progressive du public - qui d’ailleurs a beaucoup augmenté depuis qu’on utilise les réseaux sociaux.

Il y a une relation presque directe avec les spectateurs et leurs communautés. Là aussi, il y a des étapes symboliques chez nous, notamment à travers des documentaires. Les Rêves Dansants, ça a été le début des sorties documentaires mais depuis qu’on a sorti Merci Patron ! de François Ruffin en 2016, on nous en propose de plus en plus. Avec les débats et les discussions avec le public, on s’est rendu compte à quel point le cinéma pouvait avoir une portée d’action auprès des gens.

Depuis Merci Patron !, entre 30 et 60 % des films qu’on sort, surtout des documentaires avec des sujets forts, conduisent à des grandes tournées de débats à travers la France. On développe ce champ, notamment en s’appuyant sur une communauté Facebook qui s’appelle « Les films qui font débat ».

Dans quelle mesure ça vous a semblé important de ne pas seulement faire une plateforme de VOD classique avec seulement des locations et achats de films, mais d’avoir, en plus, cette dimension de débat ?

Quand on a sorti Un pays qui se tient sage en 2020, on a organisé en salles, avec le réalisateur David Dufresne, plus de cent-cinquante débats physiques, avec le déplacement. Au bout de deux ou trois mois de tournée, il y a quand même une fatigue qui s’instaure et puis ça devient plus complexe à faire, y compris sur le plan économique. L’idée, c’est que la plateforme puisse prendre le relais dans certains cas ou accompagner les tournées en proposant aux spectateurs qui ont vu le film de continuer la discussion en ligne. On l’a fait une deuxième fois au moment de la sortie DVD d’Un pays qui se tient sage. Il y a aussi le cas des films étrangers où il n’est pas possible d’avoir les réalisateurs pour des débats, on essaie aussi d’utiliser cette plateforme pour ça.

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Quelles sont pour vous les trois valeurs primordiales, celles qui vous guident ?

L’engagement citoyen, parce qu’on essaye de défendre des idées fortes très larges. Il y a aussi la notion de plaisir, même si on est entrepreneurs et que ce n’est pas toujours facile. Notre métier permet de toucher à beaucoup de choses et de nous ouvrir à plein de sujets différents. Cette notion-là, elle est forte et elle doit nous guider, sinon on arrête.

En troisième, je vais prendre une valeur liée à l’activité syndicale. Je suis président du Syndicat des Distributeurs Indépendants depuis douze ans maintenant, il y aussi la solidarité au sens où on défend les mêmes valeurs qu’une cinquantaine d’autres distributeurs indépendants. Préserver ce lien et cette diversité-là, conserver un cinéma pluriel en France, qu’il y ait toujours la possibilité de voir des œuvres très diverses, des fictions, des documentaires, des films de patrimoine, des films grand public, des gros films et des films traditionnels, des films du monde. Ça aussi, c’est notre ligne mais aussi, de manière générale, celle de l’activité syndicale.

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Quels sont les critères qui vous poussent à défendre un film ?

 Les acquisitions, c’est un truc un peu compliqué au sens où on reçoit maintenant entre six cents et huit cents projets par an, surtout avec les ventes internationales. Forcément, on doit être très sélectifs. C’est énormément basé sur de l’intuition parce qu’il y a plein de projets avec de beaux scénarios, mais on ne sait pas ce que ce sera comme film. Quand on arrive sur un scénario comme Papicha de Mounia Meddour [sorti en 2019, ndlr], avec un casting peu connu, une réalisatrice qui fait son premier film, c’est en général avec de l’intuition et au travers de la rencontre avec la réalisatrice qu’on sait qu’il va y avoir un très bon film. Parfois les intuitions se réalisent merveilleusement bien, parfois moins. Comme on fait beaucoup à partir du scénario, on se base surtout sur l’intuition sur les sujets. Il faut aussi admettre que dans notre métier, le tissu de relations qu’on a compte énormément donc quand on a un projet qui est porté par un producteur ou une productrice avec qui on a déjà travaillé.

Vous avez un exemple en tête d’un projet que vous n’auriez pas défendu par ailleurs s’il n’était pas porté par quelqu’un avec qui vous aviez déjà travaillé ?

 Merci Patron ! Je ne sais pas si je l’aurais défendu ou pas par ailleurs mais c’est plutôt qu’il ne nous serait pas arrivé. On venait de finir la sortie d’un documentaire, Les Chèvres de ma mère de Sophie Audier, produit par Édouard Mauriat. On fait la petite fête de fin d’exploitation, qui s’est bien passée - on a fait 35 000 entrées, ce n’est pas énorme succès mais c’était une super aventure -, et c’est là qu’Édouard me dit qu’il commence à travailler sur un projet un peu fou, avec des heures de rushs. Ce genre de situation fait qu’on est embarqué très tôt sur Merci Patron !, sans savoir ce que ça va être. Sur le seul pitch, à l’époque, sans doute que plein de sociétés seraient passées à côté. Nos métiers, c’est un peu des histoires de miracles, c’est vrai que quand une personne en particulier parle de tel ou tel projet, on l’écoute avec une envie différente selon ce qu’on a fait avec elle avant.

Des films dont vous avez assuré la promotion et dont vous êtes particulièrement fier ?

 En fiction, il y a eu des aventures vraiment chouettes. Papicha, ça a été dingue. Je pense à Royal Affair, un film danois de Nikolaj Arcel. On était dans une projection à Berlin d’un autre film. On sort de la salle et là on voit une grande queue devant une salle sans savoir quel était le film. Juste le titre. Le marketing international peut parfois plaire à certains goûts et parfois moins, et là ce n’était pas du tout à notre goût, donc on avait complètement mis le film de côté dans la liste de ceux qu’on voulait voir. Mais voyant cette foule gigantesque - tous les distributeurs français faisaient la queue -, on est finalement allés le voir et on a adoré.

C’était un très gros film, au budget de 14 millions d’euros : pour nous, à l’époque encore petit distributeur, on n’y serait pas allés naturellement. On va voir le vendeur, il nous parle des soixante-dix-huit pays qui l’avaient acheté à des sommes assez importantes. Nous, on avait très peu de moyens, on propose à peine 10 % de ce qu’il voulait. En sortant, on se rend compte qu’aucun distributeur français n’avait vraiment accroché au film sauf un plus petit que nous, Chrysalis, qui n’existe plus. Le fondateur nous signifie qu’il est allé voir le vendeur en proposant la même somme que nous. On y retourne à deux. On rentre à Paris sans nouvelle du vendeur mais un mois plus tard, n’ayant pas d’autres offres, il nous rappelle… Au final on a fait 950 000 entrées sur ce film en 2012.

Dans les très gros coups de cœur de ces dernières années, il y avait un film allemand qui s’appelle Victoria [sorti en 2015, ndlr], filmé en plan-séquence. C’était aussi une grosse bataille en acquisition et on était très content de sortir ce film. Je peux citer aussi Félicité d’Alain Gomis [sorti en 2017, ndlr] : c’était le premier film qu’on avait pour la France en ventes dans un très grand festival, à Berlin, qui a eu des grands prix. On a aussi adoré travailler sur Woman at war, le film islandais de Benedikt Erlingsson [sorti en 2018, ndlr]. Quand il y a un film un peu barré, dont tout le monde ne dit pas que ça va être le succès assuré, et qu’on arrive à faire quelque chose, c’est vrai que c’est chouette. Et plus récemment La Chute de l’Empire américain [en 2019, ndlr] : tout le monde considérait que Denys Arcand, qui n’avait pas fait de film pour le cinéma depuis longtemps, était passé de mode. Arriver à faire 200 000 entrées sur ce film qu’on trouve génial et que le public a trouvé génial, c’était fou.

Le pari, c’est ce qui fait partie du plaisir, non ?

 A Jour2Fête, peut-être plus que d’autres, on essaye toujours de gérer l’émotion du pari et la rationalité économique quand même. Parce que derrière tout ça, comme nous sommes une société indépendante sans investisseurs, pour l’instant on ne va jamais au-delà de ce qu’on est en mesure de faire. On ne fait pas des paris qui pourraient nous faire basculer ou nous perdre. Mais on peut quand même faire beaucoup de choses !

Image de couverture : Victoria de Sebastian Schipper © Jour2fête

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