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Élodie Bouchez : « J’ai refusé pas mal de projets où la femme est vraiment le ‘casse-délire’ du héros »

  • Marilou Duponchel
  • 2023-01-24

Avec « Amore Mio », le premier long de Guillaume Gouix, l’actrice fait son grand retour. Ferme et résolue, elle donne en même temps à son personnage une douceur et une mélancolie frappantes face à la tornade incarnée par Alysson Paradis (sa sœur dans le film, qui vit de façon chaotique la mort du père de son enfant). L’année 2023 sera riche pour l’actrice, que l’on avait un peu perdue de vue. L’occasion de revisiter le passé avec celle qui fut l’un des visages les plus lumineux du cinéma français des années 1990, et a contribué à donner un nouveau souffle contemporain à l’image désuète de la jeune fille. On a discuté avec elle de ses débuts, de ses rencontres et de son rapport au temps qui file.

En 2018, vous avez dit dans une interview : « Pendant quelques années, je n’ai pas reçu de propositions très intéressantes ou qui correspondaient à mon âge. » Qu’est-ce qui faisait d’Amore Mio une proposition intéressante ?

L’écriture. Comme souvent, c’est ce qui me donne envie de faire un film quelque soit le sujet, le personnage, quelque que soit son importance. Guillaume [Gouix, ndlr] m’a appelé en me disant qu’il faisait son premier film et qu’il avait un rôle à me proposer, celui de la sœur d’Alysson [Paradis, ndlr]. J’ai lu et j’ai aimé le mouvement du film. En le voyant terminé, j’y ai vu ce que j’avais lu. Ça faisait longtemps que je n’avais pas participé à un vrai duo de personnages et d’actrices. Ça m’était arrivé avec La Vie rêvée des anges [d’Erick Zonca, sorti en 1998, pour lequel elle avait reçu à Cannes un prix d'interprétation féminine, ex-aequo avec sa partenaire, Nathalie Regnier. Elodie Bouchez y joue le personnage d'Isa, une jeune vagabonde qui se rend à Lille et y rencontre la sauvage Marie, ndlr]. Je trouve ça assez rare que l’on fasse la part belle à deux personnages aussi différents et de manière équivalente. J’aimais aussi que mon personnage soit, au départ, assez sec, assez dur et fermé et qu’il se révèle petit à petit.

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Vous vous souvenez pourquoi ces propositions n’étaient pas intéressantes ? 

J’ai commencé très jeune avec des rôles forts et emblématiques qui caractérisaient énormément la jeunesse comme celui que j’interprète dans Les Roseaux sauvages d’André Téchiné [sorti en 1994, le film raconte l'intrusion d'un pied-noir dans un coin tranquille de la France des années 1960. Elle y joue Maïté, une jeune femme qui va peu à peu être attirée par ce dernier, ndlr] ou celui de La vie rêvée des anges d’Erick Zonca. Il ne s’agit pas tellement de la question d’une image qui te colle à la peau mais malgré tout, comme tout le monde, chaque année je prends un an de plus et à un moment, il y a une zone plus trouble et plus compliquée. On me proposait des choses qui n’étaient plus vraiment en adéquation avec qui je suis maintenant, ou qui ne m’intéressaient pas.

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Comme si les cinéastes n’arrivaient pas à projeter autre chose sur vous que cette image de jeune fille affranchie que vous avez incarné pour toute une génération ?

Si j’essaye de me l’expliquer, je pense qu’il y a un truc lié effectivement à cette question d’âge, de la génération, associé à des films très forts. Mais aussi, à un moment, il y avait moins de choses qui m’intéressaient [la fin des années 2000 et le début des années 2010 au cinéma est plus timide pour Elodie Bouchez, qui a davantage joué les seconds rôles, ndlr]. Et puis c’est toujours pareil : quand tu es gâtée, c’est difficile de maintenir cette exigence sur toute une carrière. Ça fait partie des fluctuations qui vont avec l’âge, avec les mouvements, avec les générations qui se relayent. C’est aussi l’offre et la demande, tout simplement. Je réagis à ce que l’on me propose et j’ai pu constater qu’à des moments, au cinéma en tout cas, on m’a proposé des choses dans lesquelles je n’arrivais pas à me projeter.

En parallèle, pendant ces dix années-là, j’ai fait de grandes rencontres au théâtre. J’ai travaillé avec la troupe du théâtre de la ville à Paris, nous sommes partis en tournée dans le monde entier. C’est le théâtre que j’ai toujours rêvé de faire : un théâtre public, engagé, fort en propositions physiques. Le théâtre est un endroit vers lequel j’ai constamment envie de revenir, après un ou deux films. C’est un endroit complémentaire, je m’y sens très bien mais pas mieux. Je crois que le cinéma est fait de plein de déséquilibres, c’est ce qui fait la magie de la prise. Au théâtre, même si je joue du même déséquilibre sur scène chaque soir pour ne pas rester dans quelque chose de trop répétitif, il y a quand même un socle, une physicalité, un ancrage qui me plaît beaucoup.

Vous vous souvenez de ce qui a déclenché chez vous le désir de devenir actrice ?

Le goût du jeu. Ce n’était pas tellement une image de cinéma à part, peut-être, des dessins-animés. Mais même plus tard, adolescente, je n’avais pas d’image en tête, d’idoles. Je n’étais pas du tout cinéphile. J’allais voir les films de Pierre Richard, de Louis de Funès, les James Bond. Pendant très longtemps, je n’ai pas su distinguer De Niro d’Al Pacino ! Donc c’est sûr que ça ne vient pas de là. Ça vient vraiment de ce goût pour être sur scène, qui s’est révélé très jeune, vers mes cinq ou six ans. J’ai des souvenirs de spectacles ou d’envies de spectacles très précis, que ce soit au club Med, en colo, à l’école à la fin de l’année, des spectacles de danse aussi. La cinéphilie est venue après. J’ai été initiée quand j’ai commencé à faire du cinéma, notamment par certains réalisateurs ou réalisatrices, certains amis acteurs. J’ai découvert des films de la Nouvelle Vague avec Benoît [Magimel, ndlr] par exemple. Eux, c’était des petits parisiens, ils étaient tous rue Daguerre [dans le XIVe arrondissement parisien, où vivait Agnès Varda notamment, ndlr], j’allais avec eux dans les cinémas de quartier. J’habitais en banlieue [à Montreuil, ndlr], la culture était différente là-bas.

Vous commencez le cinéma en 1990 dans Stan the Flasher, cinquième et dernier film de Serge Gainsbourg, dans lequel vous jouez une jeune fille qui obsède un prof d’anglais. Vous aviez 16 ans à l’époque. Gainsbourg comptait pour vous à cette période ?

C’était quelqu’un qui m’était très familier parce que mes parents écoutaient et moi aussi mais j’étais moins fan que ma mère ou que mon père. Evidemment, je l’identifiais totalement mais je venais d’une famille à qui il ne faisait pas peur, et qui l’appréciait.

Le fait de ne pas être fan, de pas avoir eu d’idole comme vous disiez, ça permet d’être moins intimidée par les gens ?

Oui, même si je ne peux pas dire que je n’étais pas intimidée parce qu’en soi, je le suis toujours un peu, même encore aujourd’hui quand je rencontre un metteur en scène, que je commence un film. Je n’y vais jamais en me disant : « Tout va bien, je sais comment ça va se passer, je sais comment faire. » Souvent quand j’accepte un rôle, c’est que j’ai une vision, je sais que je vais pouvoir alimenter ce personnage. Sans savoir comment je vais l’aborder, je le projette.

Stan the Flasher paraît aujourd’hui assez problématique sur l’érotisation de votre personnage. Est-ce que vous être très regardante sur la manière dont sont dépeints les personnages féminins par rapport à certains clichés ou stéréotypes ?

Je suis quelqu’un de sensible qui n’accepte en aucun cas la maltraitance d’un homme envers une femme, d’une femme envers une femme, des êtres humains les uns envers les autres. Mais c’est vrai qu’il y a parfois des schémas dans certains films, en général dans les films pas très intéressants à mon goût. J’ai refusé pas mal de projets où la femme, au-delà d’être un faire-valoir de l’homme, est vraiment le « casse-délire » du héros. Ça revient assez souvent en fait : le héros est un homme un peu irresponsable qui ne fait pas très bien les choses mais comme c’est le héros du film, on est attendri, on lui pardonne. La femme, dans ce genre de film, c’est souvent celle qui dit : « Tu ne t’occupes pas des enfants, tu fais n’importe quoi ! » Ça fait systématiquement partie des projets que je refuse parce que je ne m’y retrouve pas.

Comme Jean-Pierre Léaud ou Mathieu Amalric avant vous, vous avez incarné au cinéma une certaine vision de la jeunesse des années 1990, cette figure adulescente, d’habitude plus campée par des hommes.

Oui, peut-être que cela correspondait une fascination du cinéma pour la jeune fille. Ce qui est sûr, c’est que les personnages que j’ai pu incarner avaient de la texture, une âpreté, du relief. Je ne sais pas si ces personnages continuent beaucoup à exister aujourd’hui dans les films qui parlent des jeunes filles. Je pense quand même à un film que j’ai beaucoup aimé avec Adèle Exarchopoulos, Rien à foutre.

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Vous avez joué avec Benoît Magimel dans Le Cahier volé de Christine Lipinska, sorti en 1993. Dans une interview qu’il nous a récemment accordée (lire ci-dessous), il disait : « J’ai compris que pour rester intéressant, il ne faut pas se livrer, ne pas parler de soi. » Comment s’est passé votre entrée dans le monde du cinéma ?

Ça s’est passé simplement, sur plusieurs années. Benoît a commencé très jeune. Moi aussi, j’ai fait mon premier film à 16 ans. A partir de là, j’ai fait beaucoup de castings, j’ai commencé à travailler sur des pubs, des photos. Puis il y a eu le cinéma, mais ça a été progressif. J’adore que mon premier film soit le film de Gainsbourg mais c’est un film que personne n’a vu. C’est intéressant que ce fut celui-ci plutôt qu’un autre mais ce n’était pas La Boum quoi ! Ce n’était pas une révélation.

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Entre 1995 et 1999, vous avez été reconnue par la profession, en recevant successivement le César du meilleur espoir féminin pour Les Roseaux Sauvages d’André Téchiné, un prix d’interprétation à Cannes pour La vie rêvée des Anges d’Erick Zonca puis le César de la meilleure actrice pour le même film. Comment avez-vous géré tout ça ?

Je ne sais pas, c’est vrai que c’est assez rapproché… Mais je pense que c’est un âge où les années sont encore un peu élastiques et où tu fais tellement de choses dans ta vie privée, professionnelle… Je l’ai bien vécu. Peut-être parce que la période préliminaire a été assez longue à s’installer !

Votre rencontre avec André Téchiné a-t-elle été déterminante ?

Cette rencontre est assez intéressante. J’en parle de temps en temps à certains jeunes acteurs qui se posent des questions sur les choix de carrière. Le Téchiné est un bon exemple. A l’époque, j’avais fait le film de Gainsbourg, le film avec Benoît. Je continuais à faire des castings, j’avais fait des petites choses à droite à gauche et à un moment j’ai été prise pour faire une série télé : Cordier, juge et flic. Pas très prestigieux mais bon, j’étais assez ouverte, pas snob. J’ai réussi le casting et je décide de le faire sans a priori négatif. C’est grâce à ça que j’ai rencontré Téchiné. Sur le téléfilm, il y avait Michèle Moretti [vue chez André Téchiné, Jacques Demy ou encore Jacques Rivette, ndlr] qui est l’une de ses actrices préférées. André cherchait sa jeune fille et Michele lui a dit : « Il y a cette petite qui joue dans le téléfilm, tu devrais la voir. » J’ai fait le casting et j’ai été prise.

Les Roseaux sauvages évoque la guerre d’Algérie, la découverte de l’homosexualité d’un jeune garçon, l’éveil au désir d’une jeunesse rurale. Le film a durablement marqué une époque et une génération. Vous imaginiez qu’il puisse devenir aussi important ?

Non pas du tout, personne d’ailleurs même pas André. Il m’a encore dit il y a peu de temps que c’était si c’était un film très personnel pour lui. Gaël Morel [qui joue le personnage de François, alter ego de Téchiné et ami de Maïté, ndlr] connaissait ultra bien le cinéma de Téchiné, il était très aguerri. Mais aucun de nous ne faisait de projection et sans doute qu’André non plus. Je l’ai revu il y a deux ans et je trouve le film très beau, très pur. Les gens l’ont beaucoup aimé, il reste encore à l’esprit de plein de monde.

Regarder vos films, ça vous rend mélancolique ou pas du tout ?

Vieillir, c’est aussi entretenir un certain rapport avec le passé, au-delà de ce qui se passe physiquement. Il y a cette nostalgie, ces souvenirs… Et puis tu as des enfants qui deviennent grands… C’est tout ça vieillir, c’est tout d’un coup avoir des miroirs sur ce que tu étais, ce que tu as fait. C’est aigre-doux.

Dans les années 1990, vous avez enchaîné les rôles chez Téchiné, donc, mais aussi Cédric Klapisch ou Siegfried, dans une période où le cinéma français est en pleine effervescence avec l’apparition des films d’Arnaud Desplechin, Noémie Lvovsky, Xavier Beauvois, Olivier Assayas, Laetitia Masson... Vous aviez le sentiment d’appartenir à une génération particulière ?

Oui, clairement, on se côtoyait beaucoup les uns les autres, notamment dans les festivals, principalement ceux organisés par Daniel Toscan du Plantier [producteur français connu également pour avoir dirigé Gaumont, présidé l’Académie des Césars et Unifrance, ndlr] au sein d’Unifrance. C’est vrai qu’on voyageait partout dans le monde avec nos films, au Mexique, au Japon. On regardait nos films, on échangeait.  Bien sûr, il y avait des familles, des clans, des jalousies mais il y avait aussi beaucoup de joie, de fantaisie. Et puis il y a eu surtout ce mouvement avec les films d’Arte, aussi bien « Tous les garçons et les filles de leur âge » [collection de neuf téléfilms, axée sur le thème de l’adolescence et diffusée en 1994, commandée par la chaîne Arte sur une idée de Chantal Poupaud, célèbre attachée de presse mais aussi productrice, réalisatrice et scénariste française, ndlr] que « Les années lycée » avec Le Péril jeune de Cédric Klapisch [autre collection de téléfilms initiée par la chaîne et diffusée en 1995 avec notamment le film Petites de Noémie Lvovsky, ndlr]. Toute cette nouvelle vague de jeunes cinéastes qui souvent racontaient leur jeunesse avec nous, les jeunes acteurs. Ça a fait un doublon de vague nouvelle. C’est très spécifique de cette époque-là. On est assez chanceux.

Dans une interview qui date à peu près de cette époque, et que vous avez accordée à Libération, vous disiez : « Il est important de ne jamais trop se regarder. » Vous aviez alors 24 ans. Vous le pensez toujours ?

Oui, je le pense encore. Ne pas se regarder faire. Il y a différentes écoles, différentes manières mais c’est vrai que moi je pense savoir maintenant que je suis une actrice pas du tout intellectuelle mais instinctive, intuitive, physique. J’ai pas du tout besoin qu’on me raconte des choses sur mon personnage tout ça, quand on théorise trop, ça m’embrouille.

Amore mio de Guillaume Gouix, Urban (1 h 20), sortie le 1er février

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