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Cameron Kostopoulos : « La VR a une puissante capacité transformatrice »

  • David Ezan
  • 2023-10-20

À seulement 24 ans, Cameron Kostopoulos s’est emparé de la réalité virtuelle au profit d’une expérience encore sans équivalent : faire ressentir à son public la dysphorie de genre, via une installation immersive qui confronte notre reflet à un genre différent de celui auquel on s’assigne. Tandis que « Body of Mine » s’illustrait dans la section Immersive à la dernière Mostra de Venise, on s’est entretenu avec ce jeune créateur en quête de nouveaux modes d’expression artistique et politique.

Vous avez réalisé quelques courts métrages - Anti-Venom for a Snake en 2020 ; Heartbeats en 2021 - avant de vous intéresser à la réalité virtuelle...

J’ai toujours tendu vers des narrations centrées sur le mouvement, à l’aide de chorégraphies. C’est ce qui m’a naturellement guidé vers l’immersif, car c’est à mon sens la forme la plus expérimentale du cinéma aujourd’hui : il n’y a encore aucune règle à briser, il s’agit déjà d’en trouver ! Et puis je considère Body of Mine comme le prolongement de mes précédents films, puisqu’il s’agit non plus de filmer le corps mais de l’incarner.

Comment en êtes-vous venu à imaginer Body of Mine, vous qui n’êtes pas une personne trans ?

Après mon coming-out, j’ai perdu de nombreuses relations amicales et familiales. Pendant cette période, j’ai réfléchi à la notion de safe space [qui qualifie un espace et une atmosphère de bienveillance pour les personnes victimes de discrimination, ndlr] et comment en imaginer pour ceux qui en manquent. Mes proches trans vivaient alors des expériences transformatrices ; ma colocataire a subi une intervention chirurgicale, un ami texan a porté son enfant... Ça a commencé dans ma chambre, où j’ai enregistré nos conversations à ce sujet. Cet endroit de vulnérabilité est très important, on le sent dans les témoignages retransmis pendant l’expérience.

« Après la dysphorie de genre, on bascule dans ‘‘l’euphorie de genre’’ »

On est d’abord loin du safe space puisqu’on est plongé à l’intérieur d’un corps humain, face à un grand miroir...

Cela illustre le fait de se sentir prisonnier de son propre corps – un sentiment partagé par de nombreuses personnes atteintes de dysphorie. Puis cette pièce inquiétante se transforme en un jardin lumineux à mesure qu’on se réapproprie son corps, qu’on le fait grandir dans une optique d’émancipation. Si la première partie de Body of Mine aborde la dysphorie de genre, on bascule ensuite dans « l’euphorie de genre » : on incarne différents individus de différentes morphologies, on cligne des yeux à leur rythme. C’est vrai, c’est facile de dire : « Nous sommes tous humains. » Le ressentir dans sa chair en revanche, c’est presque une expérience transcendante.

Pendant l’expérience, on entend : « Qu’est-ce que ça fait, d’avoir un corps qui n’est pas le vôtre ? Un corps qui ne bouge pas exactement à votre rythme ? » Comment avez-vous pensé cette lumineuse articulation entre dysphorie et technologie ?

 Aujourd’hui, la VR est accaparée par des entreprises high tech qui laissent peu de place à l’expression artistique. Certains voudraient atteindre une perfection visuelle qui semble illusoire, tandis que Body of Mine prend acte des imperfections ; on sait par exemple à quel point le tracking [qui consiste à placer des capteurs sur son corps, pour ensuite incarner un avatar, ndlr] est encore bancal, mais cela sert en fait mon propos sur le désalignement entre corps et esprit. Nos yeux, nos doigts bougent effectivement grâce au tracking mais ce n’est pas confortable, on ne s’y sent pas parfaitement aligné : il y a une étrangeté, dont je m’empare d’un point de vue scénaristique.

 

À quel point considérez-vous donc la VR comme un nouvel outil d’expression politique ?

La VR a une puissante capacité de transformation, liée au fait qu’on vous transpose organiquement dans des espaces ; un champ de bataille, une ville, un paysage détruit par le changement climatique, le corps d’une personne trans... Mon prochain projet s’appellera par exemple A Cure for Straightness [« une cure contre l’hétérosexualité », ndlr] et consiste en une thérapie de conversion inversée, où une intelligence artificielle pointe du doigt votre hétérosexualité et vous demande d’en guérir. Ce sera donc aussi un commentaire politique sur la violence et l’absurdité des thérapies de conversion. 

« L’I.A. nous a beaucoup aidés à élaborer le projet »

En tant qu’artiste à l’avant-garde, quel est votre point de vue sur l’intelligence artificielle ?

Nous avions un budget très serré d’environ trois mille dollars sur Body of Mine, or l’IA nous a beaucoup aidés à élaborer le projet. La VR était encore extrêmement coûteuse il y a peu, non seulement en termes d’argent mais aussi de bagage technique. Aujourd’hui, tout le monde peut discuter avec ChatGPT et faire du codage ou de la programmation informatique ! Bientôt, on pourra générer des modèles 3D...

La VR sera ainsi plus inclusive, car accessible aux artistes même les plus précaires. Et si beaucoup d’artistes en ont peur aujourd’hui, ils doivent réaliser que ce n’est pas juste un outil ; c’est un médium à part entière, qui devrait faire émerger de nouvelles formes d’expression et de nouvelles modalités d’interaction avec le monde. L’idée de « parler » à un film est encore très abstraite, mais je crois que dans le futur nous parlerons à nos écrans et à nos films.

Body of Mine devrait être commercialisé d'ici 2024. 

 Photographie de couverture : © Sanko Shen

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