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Bonnie Banane et Flavien Berger : « C’est un peu un saut dans le vide, ça donne le frisson »

  • Wilfried Paris
  • 2023-01-16

Le 20 janvier, Bonnie Banane, compositrice-interprète qui bouscule les codes de la pop-R&B, et Flavien Berger, créateur de suaves chansons pop électroniques, revisitent l’œuvre avant-gardiste et libertaire du tandem Fontaine-Areski en imaginant un objet radiophonique non identifié, « Eux & Nous » - clin d’œil à l’album « Vous et nous » de 1977. On les a rencontrés pendant la préparation de cet évènement. Attention, ce ne sera pas tout à fait comme à la radio.

C’est toi, Bonnie, qui est à l’origine de ce projet de création autour du répertoire de Brigitte Fontaine & Areski, et qui a contacté Flavien ?

Bonnie Banane : Brigitte Fontaine semble exister depuis toujours dans le paysage culturel français. Tout le monde la connaît. Le Nougat, ça passait à la radio, et elle a toujours été l’hurluberlue des plateaux télé. Moi je n’y prêtais pas plus d’attention que ça jusqu’à ce qu’un jour, un pote producteur me fasse écouter Moi Aussi, Pour le patron, Nous avons tant parlé. Je me souviens encore de l’endroit, de la pièce où j’étais quand j’ai entendu ces chansons. Je me souviens surtout de Pour le patron : « Moi je mange de la bouse de vache / Y’a bien du pain blanc / Mais c’est pour le patron ! » Je me souviens du choc. J’avais l’impression d’être passée à côté d’un truc important et je me suis engouffrée dans leur répertoire, j’ai tout écouté.

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Le moment charnière a été lorsque j’ai découvert la chanson J’ai 26 ans [parue en 1970 sur l’album Comme à la radio, ndlr], qui a été un vrai choc esthétique. « J'ai 26 ans / Mais seulement quatre d'utiles / Je ne comprends rien à rien / J'ai peur des papillons / Mon père est mort à la guerre / Quand j'étais petite, j'avais un gilet / En angora rose / Qui s'arrêtait avant les côtes flottantes. » J’ai commencé à la chanter, d’abord en reprenant les paroles originales, puis en les réécrivant à partir de mon vécu personnel. Au départ de ce projet de création, je voulais faire un disque pour que les gens réentendent ces chansons. Que ce soit pour eux l’occasion d’être surpris par ce répertoire des années 1970. C’est un rêve que j’ai depuis longtemps, né entre 2016 et 2018. Et à un moment donné, en discutant avec Arthur Peschaud, qui gère le label Pan European Recordings – chez qui Flavien sort ses disques – et avec ma manageuse Élodie Haddad - qui s’occupe également de Flavien –, c’est devenu une évidence qu’il fallait faire ça avec Flavien.

Flavien Berger : Bonnie et moi avions déjà fait un morceau ensemble [Contre-Temps, sur l’album du même titre, paru en 2018, ndlr], et on est devenus très amis. Ça faisait longtemps qu’on avait envie de retravailler ensemble, ça nous manquait. On a d’abord pensé faire un disque, mais on s’est dit que ça allait coûter une thune monstre si on voulait faire venir des musiciens, des musiciennes. Et Élodie nous a parlé de l’Hyper Weekend Festival, qui donne une large part aux reprises de chansons du répertoire francophone. On a donc appelé Didier Varrod [directeur musical des antennes de Radio France, ndlr]. C’était tout prémâché en quelque sorte. On prépare donc ce concert, mais on veut faire attention à la révérence, on ne veut pas être dans l’hommage. On voudrait que les gens puissent être portés par le show même s’ils ne connaissent pas les chansons originales. On ne veut pas faire des clins d’œil aux initiés. Si on reprend ça, c’est qu’on est différents et on veut le faire à notre manière, digérer ce répertoire, se l’approprier.

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Qu’est-ce qui vous plaît particulièrement dans leur musique, leurs chansons ?

FB : Arthur Peschaud m’ avait apporté le disque L’Incendie en 2017 et je connaissais quelques chansons. Ça faisait partie d’un panthéon un peu induit. Mais maintenant que je me suis plongé dedans, que j’ai écouté tous les albums, visionné des concerts, des interviews, je sens que ce sont des gens qui me comprennent, que je comprends. En termes de mélodies, je capte les hybridations, les libertés, les choix d’harmonies. Ce ne sont pas les miens, ils sont difficiles d’accès, mais une fois qu’on y a accédé, on est contents. Et puis, Brigitte explique souvent en interview qu’elle écrit sur des moments, des « états » et c’est exactement ce que j’essaie d’atteindre dans mon écriture, qui n’est pas descriptive mais qui donne à visualiser à peu près l’instant, à travers des sentiments, un ressenti, un état. Une chanson comme L’Engourdie a une température incroyable par exemple. Enfin, j’aime que leurs métaphores ne soient pas trop lourdes, trop sérieuses.

BB : Pour moi, le sentiment de liberté que Brigitte Fontaine inspire, sa liberté de parole, sa fantaisie, sa poésie, sa singularité la rendent unique en France. Et puis, elle parle souvent de « ruses », et ça, ça me touche beaucoup. Elle dit en interview : « Je suis arrivée dans la musique par ruse. » J’ai d’abord cru qu’elle parlait de ses choix de carrière qui lui avaient permis de décider des choses, de diriger elle-même sa vie plutôt que d’être actrice, dépendante des désirs des autres. Mais ensuite j’ai vu une interview où elle parlait de son arrivée à Paris, et de son premier mec. C’était un homme plus âgé qu’elle, qui ne voulait pas qu’elle fasse du théâtre, qu’elle travaille. Elle était sous son emprise, en fait, et elle s’en est échappée « par ruse ». Il pensait que le théâtre était un métier de « petite vertu » et elle a dit : « Ok, alors je vais faire de la musique. » Puis elle s’est sortie de cette relation et elle a rencontré Areski. Et j’aime son sens de la punchline, qu’elle a en interviews comme dans les paroles de ses chansons.

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FB : Les jeux de mots sont un peu la matière première de notre humour à Bonnie et moi je crois, et à pas mal de musiciens et d’amis de notre entourage. Et quand on dit à Brigitte : « Vous êtes une icône » et qu’elle répond : « Non, je suis une unique conne », ça fait pas blague de tonton, c’est spirituel, c’est un état d’esprit.

Quelles chansons avez-vous retenues ?

BB :
On a 50 minutes d’émission et notre ligne de conduite, c’est d’abord de choisir des morceaux dans lesquels Brigitte Fontaine et Areski sont impliqués tous les deux. Ensuite, nous ne jouerons pas certains titres parce que nous avons dû faire un choix parmi leur vaste répertoire et que nous avons choisi en priorité les chansons que nous préférons, et certaines que l’on a vraiment envie de donner à réentendre aujourd’hui. Personnellement, c’est Les étoiles et les cochons ou Brigitte qui me donnent des frissons quand je les chante. Il y a des chansons un peu prioritaires, comme Le Goudron par exemple, qui est une pièce maîtresse de leur répertoire.

FB : Le Goudron, c’est du rap, les prémices du rap français, écrit en ternaire et en alexandrins. Le placement des quatre temps de l’alexandrin sur un rythme ternaire, c’est ce que font les rappeurs West Coast. On pense faire La renarde et le bélier touffu aussi, qui met en valeur leur côté conteurs, qui est l’histoire de leur rencontre, avec de la belle musique. Brigitte raconte une histoire et lui l’interrompt, rectifie, c’est marrant, c’est une bonne porte d’entrée dans leur duo. Les paroles et la métrique d’Éternel Retour sont très dures à apprendre. Comme D’ailleurs, issue de French Corazon, l’album de Brigitte produit en 1988 par un label japonais, avant son grand retour. C’est une tuerie, mais très difficile à chanter.

On entend beaucoup d’instruments traditionnels nord-africains, comme le bendir ou le oud, dans les arrangements d’Areski. Est-ce que vous avez prévu d’associer des musiciens à votre duo ?

 FB : Oui, on va retrouver certaines sonorités : il y aura Hanaa Ouassim, également signée chez Pan European, qui joue des percussions traditionnelles et qui a un instrumentarium très large, pour évoquer cette dimension percussive des années 1970 ; il y aura le fils d’Arthur Peschaud -  qui s’appelle... Areski ! - qui viendra jouer du luth, un instrument qui rappelle le oud, avec un côté médiéval ; il y aura Laure Brisa à la harpe, pour les cordes qui vibrent aussi d’une manière particulière ; on aura quand même besoin d’une présence de claviers, donc Clémence Quelennec, alias Aja et ancienne chanteuse de La Femme, nous rejoindra ; et enfin, Thibaud Merle jouera du saxophone, de la clarinette, clarinette basse, flûte. Et tout le monde va chanter ! On veut faire une chorale.

 BB : Il y aura aussi des programmations, des arrangements faits à l’ordinateur. Et pour l’instant, on retrouve bien la patte de Flavien, on voit qu’il est aux manettes.

Est-ce que vos voix sont proches de leurs tessitures ?

 FB : On est encore en workshop mais j’essaie de chanter comme Areski, avec une voix grave et beaucoup de souffle. Et je fais en sorte que petit à petit le souffle disparaisse et que je retrouve ma voix. On a essayé aussi de varier les interprétations, d’inverser les rôles. C’est moi qui chanterai L’Engourdie – interprétée au départ par Brigitte – et c’est Bonnie qui vient sur les refrains. Mais oui, on a tous les deux les bonnes tessitures de voix pour chanter Fontaine et Areski.

BB : Oui, à la base, je suis soprano, mais je suis devenue mezzo. Je peux chanter assez haut, mais je crois que je préfère chanter plus bas.

Votre création est aussi, et avant tout, une émission radiophonique. Est-ce que vous avez pensé à la manière dont ce sera présenté et diffusé ? Parce que les mix de leurs albums sont particuliers par exemple, avec très souvent la répartition de leurs deux voix en stéréo.

FB : Oui, on a demandé à l’ingénieur du son de Radio France si nos voix pouvaient être réparties à gauche et à droite et il nous a répondu que beaucoup de gens écoutaient la radio en mono, et que s’il nous mettait gauche-droite, ça ferait une phase. On réfléchit aussi à l’idée de « plateau », à la dimension théâtrale des performances de Fontaine & Areski, avec des prises de paroles, plus ou moins improvisées. Que ce soit dans l’incarnation, l’incantation, sans non plus les singer.

 BB : Il faut qu’il y ait une part d’impro, des dialogues, et c’est un peu un saut dans le vide, qui me donne le frisson.

FB : On a envie d’utiliser aussi des archives de l’INA qui sont mises à notre disposition pour la création. Il y a un live d’eux interprétant Le Bonheur à la TV qu’on peut voir sur YouTube et c’est Jean-Louis Trintignant [disparu l’année dernière, ndlr] qui les a invités. Il dit un truc très touchant à la fin : « Voilà deux personnes qui sont habitées par ce qu’elles font et ça demande peut-être un petit peu d’effort pour les écouter, mais  cet effort est récompensé à la fin ». Il y avait déjà cette idée d’« effort » à la TV à l’époque, avec une chanson, assez répétitive, de 6 minutes. On ne pourrait plus voir ça à la TV aujourd’hui, mais ça semble encore possible à la radio.

Fontaine et Areski sont un duo, mais un couple aussi. Ils parlent de tous les aspects de leur relation dans leurs chansons, avec beaucoup de distance et d’humour. Comment comptez-vous présenter cette dimension duale ?

BB : Nous, on est un duo d’amitié. Moi j’adore l’idée d’un homme et une femme dialoguant. Quelque soit la nature de leur relation.

FB : Il y a chez eux cette complicité, cette confiance entre deux artistes, qui nous a donné envie de faire ça ensemble.

BB : Ça me rend triste de ne pas rencontrer Brigitte, mais je n’ai pas trop envie de les importuner.  Nous n’en avons pas parlé avec eux mais ils sont au courant de notre projet.

Flavien, vois-tu des points communs entre Bonnie et Brigitte (ou Areski, ou les deux ensemble)  ?
FB :
L’inattendu dans la blague, la joie du vin, l’espièglerie, l’amitié.

Bonnie, vois-tu des points communs entre Flavien et Areski (ou Brigitte ou les deux ensemble) ?
BB : Oui, les lunettes et la camaraderie.

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