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Benjamin Voisin : « Plus c’est le chaos, moins on comprend ce qui se passe, plus j’aime »

  • Marie-Manon Poret
  • 2023-04-06

Dans le beau et troublant « Les Âmes sœurs » d’André Téchiné (en salles le 12 avril), Benjamin Voisin campe avec une grande subtilité le rôle d’un jeune homme, de retour chez lui dans les Pyrénées, après un accident survenu lors d’une mission militaire au Mali, qui lui a fait perdre la mémoire. Aux côtés de sa sœur Jeanne (bouleversante Noémie Merlant), il doit réapprendre à vivre et surtout à gérer les émotions incontrôlables qui le submergent. Un rôle plus torturé qu’à l’accoutumée, qui nous a donné envie de sonder les évolutions de jeu du comédien de 26 ans, qui instille souvent dans ses rôles de beaux garçons sûrs de leur charme une once d’étrangeté. Rencontre.

Dans Les Âmes sœurs, vous jouez un soldat en convalescence qui souffre d’amnésie. Qu’est-ce qui vous a plu dans ce scénario ?

Déjà, lire un scénario d’André Téchiné, c’est un vrai cadeau pour un acteur ! Alors un rôle proposé par Téchiné, ça se refuse encore moins. C’est cette idée de la perte de mémoire qui m’a plu. J’ai dû apprendre à jouer la redécouverte de tout : des émotions, des sensations, des regards… Je me suis dit que j’allais pouvoir avoir des possibilités de jeu qui allaient être énormes. 

Comment on se prépare quand on doit jouer un personnage qui ne se souvient plus de rien ?  

Il faut faire un effort pour tout oublier et repartir à zéro. L’idée était de redevenir un bébé et de devoir tout apprendre à nouveau. Avec ce rôle, André Téchiné m’a offert le rêve ultime de tout acteur : retrouver l’enfant qu’on a été à sept ans, quand tu es dans la cour de récré et que tu as un sabre laser ! À cet âge-là, on y croyait grâce à notre imagination. C’est très dur de continuer à voir le sabre laser une fois que tu as compris ce que sont l’amour, les impôts, un gouvernement qui veut faire durer la retraite jusqu’à 64 piges...  

Inceste, traumatismes enfouis… Comme dans beaucoup de ses films, Téchiné explore des zones interdites. Est-ce qu’il y a des tabous qui vous empêcheraient d’accepter un rôle ?

L’amour interdit entre deux personnes, dont le film traite, est énorme. Entre ce qui est dit, ce qui doit être dit ou non, ce qui doit être caché ou pas… C’est l’incompréhension totale !  Pour moi, pouvoir côtoyer des tabous, c’est pouvoir côtoyer des extrémités. Tous mes rôles ont fait bouger des choses en moi, et je pense que c’est valable pour tous les acteurs. Et plus c’est extrême, plus c’est excitant.                                                                                             

Vous interprétez le rôle de David avec une grande intensité physique – on pense notamment à cette scène où vous dansez torse nu sous la neige en état d’ébriété. Comment avez-vous travaillé cette idée de corps tout en tension ?   

Grâce au regard que me portait André Téchiné. Il avait vraiment le souci que le personnage ne soit pas « mort vivant », que le rôle ne soit pas juste éteint. Il était tellement avec moi que je lui faisais totalement confiance pour me guider. Je préférais en faire plus que moins. C’est souvent les cas quand je joue : je préfère toujours me donner au maximum, puis voir s’il ne faut pas que je redescende un peu plutôt que l’inverse.  

En général, vous accordez beaucoup d’importance à votre corps dans la préparation de vos rôles ? Vous avez des techniques spécifiques ?   

L’alimentation joue beaucoup : je mange en fonction de mes rôles, j’adapte ma pratique sportive aussi. Pour ce film, ma routine c’était : faire de la course, manger trois pommes par jour et fumer des cigarettes pour avoir le corps le plus maigre possible. Sur le film de François Ozon [Eté 85, dans lequel il joue l’insolent David, un adolescent qui fait perdre la tête à un autre jeune homme, ndlr], je faisais des pompes, pour celui de Xavier Giannoli [Illusions perdues, où il interprète un jeune arriviste qui tente de se faire une place dans la presse parisienne, ndlr], je faisais pas mal de méditation. Dans ma préparation, je marche beaucoup, je passe des heures dans la rue à me promener pour appréhender le rôle. Une fois que j’ai chopé la marche du rôle, je n’apprends même plus mes textes : de la marche vient l’émotion, de l’émotion vient la diversité du sens à donner au jeu. Que je doive dire « passe-moi le sel » ou « je t’aime », je sais comment le personnage le dit une fois que j’ai la posture.  

« Je n’ai pas de passé, ça me fait un présent au moins », dit votre personnage. Est-ce que vous êtes du genre à regarder dans le rétroviseur, à remuer le passé ?  

Non, absolument pas ! J’ai du respect vis-à-vis du passé, du mien et comme de celui des autres. Je le contemple parfois et en même temps, je ne ressens pas du tout de nostalgie. Ce qui a été vécu, en bien ou en mal, a été vécu. Je laisse les choses telles qu’elles sont, j’essaye d’avancer.  

Vous étiez familier du cinéma d’André Téchiné avant de jouer dans son film ?

Non, du tout. J’avais dû voir un ou deux de ses films, mais je l’ai vraiment découvert en tournant avec lui. J’ai une culture cinématographique assez faible, parce qu’assez jeune j’ai tout misé sur la littérature. J’aime bien découvrir les films d’un réalisateur sur le tournage, pour m’inspirer de ce qu’ont fait les autres acteurs. Je vole ce que je vois pour m’adapter au mieux au tournage. Par exemple, Catherine Deneuve [actrice préférée de Téchiné, elle a notamment joué pour lui dans Hôtel des Amériques, Les Voleurs ou plus récemment L’Adieu à la nuit, ndlr], qui attend la fin d’un plan pour dire une phrase. De base, j’aurais dit la réplique pendant le plan, le mouvement. Mais je vole ce geste-là, je fais la même chose qu’elle, parce que je me doute que ce qu’a fait Deneuve, c’est ce qui plaît le plus à Téchiné.

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Roschdy Zem et Elodie Bouchez, qui ont débuté leur carrière dans des films du cinéaste, nous ont récemment parlé en interview de la méthode naturaliste de Téchiné : sa recherche d’une certaine fraîcheur, son désir de préserver à tout prix le naturel de ses acteurs et actrices sur un plateau. Comment ça s’est passé avec vous ?  

Chez Téchiné, c’est le mouvement qui compte. Il préfère se contenter de prendre quelqu’un de bien en mouvement plutôt que contempler une personne sublime à l’arrêt. Mais par contre, le pur naturel ne l’intéresse pas. Il y a des moments où le poids de la scène nécessite d’en faire un peu trop, et c’est quelque chose qui lui plaît.

Dans Eté 85, où vous jouez un jeune homme un peu toxique, Illusions perdues, où vous jouez un arriviste, Un vrai bonhomme ou encore En roue libre, les personnages de bad boys que vous incarnez permettent d’interroger les injonctions à la masculinité, la violence qu’elle peut provoquer chez les jeunes garçons. Qu’est-ce qui vous attire dans ce genre de rôles ?   

Ce sont les grands metteurs en scènes qui nous choisissent, pas l’inverse. Mais ce qui m’amuse, c’est de détruire ce qu’on pense être un homme fort. On réinterroge tout dans notre société et personnellement, j’adore ça. Plus c’est le chaos, moins on comprend ce qui se passe, plus j’aime. C’est ce que j’essaye de faire humblement dans mes rôles : apporter du contraste. Par exemple, si le personnage est fort, je vais rajouter de la faiblesse. S’il est doué, je vais rajouter de l’échec. S’il est beau, je vais rajouter de la mocheté.

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La pression autour de la masculinité, c’est une chose avec laquelle vous avez grandi ?   

Non, mes parents m’ont éduqué avec une belle poésie, une certaine élégance envers les femmes, un respect de l’autre…  Mais il faudrait être aveugle pour ne pas s’apercevoir qu’il existe un privilège chez les hommes ou chez les personnes blanches. Affirmer que tout le monde a les mêmes cartes dans son jeu, que les droits entre les hommes et les femmes sont à égalité serait du déni. Il y a encore un grand manque de conscience chez beaucoup de gens. J’aimerais que les gens se rendent compte de ces différences, des discriminations encore omniprésentes. Ca permettrait d’envisager un chemin vers plus d’égalité.

Quel genre de personnage aux antipodes de votre personnalité rêveriez-vous d’incarner ? 

Tous les rôles que j’incarne sont aux antipodes de ce que je suis au quotidien. Dans Un vrai bonhomme, mon personnage me ressemblait parce que je fais un peu le con quand je tiens mon rôle. Mais je n'ai joué aucun rôle qui ressemble à la personne que je suis quand je suis seul dans ma chambre par exemple. Je pense que pour jouer un rôle qui nous ressemble, il faut vraiment du temps. Marlon Brando a attendu 40 ans avant de faire Le Dernier tango à Paris [film de de Bernardo Bertolucci, sorti en 1972, dans lequel ce dernier joue le rôle d’un américain installé à Paris, ndlr] et là, c’est vraiment lui ! Seule l’expérience me donnera l’opportunité d’être totalement moi-même dans mes rôles. Me voir tel que je suis à l’écran ne m’intéresse par pour l’instant, ça serait trop brouillon. Il faut une vraie densité, acquérir de l’âge et surtout avoir vécu le plateau. 

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