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Alain Cavalier : « À pas légers, j’ai quitté les plateaux de tournage, les équipes, pour filmer seul, en toute liberté. »

  • David Ezan
  • 2023-04-11

Du haut de ses 91 ans, Alain Cavalier a tout filmé : des grands acteurs de sa génération à l’ouvrier du bas de la rue, en passant par les oiseaux qui peuplent son jardin ; de « La Chamade » (1968) aux « 24 portraits d’Alain Cavalier » (1987 et 1991) en passant par « Le Paradis » (2014). « Dans L’Amitié », il renoue avec sa veine portraitiste et signe une ode au compagnonnage, élaborée au gré d’affectueuses rencontres avec trois amis proches. On l’a rencontré dans son atelier parisien en forme de boîte à trésors, où les feuilles qu’il a cueillies dans la cour côtoient ses petites caméras numériques.

Tout d’abord pourquoi ce titre, L’Amitié ?

Mon amicale caméra peut tenir dans une seule de mes mains. Elle est si discrète. Elle est toujours à mes côtés, dans un sac ou sur une table près de mon lit. J’adore aller passer le temps avec mes amis. Je sais qu’ils ont confiance en mon regard et que je peux les filmer sans les troubler. Avec ceux qui m’ont aidé à faire des films et qui sont devenus des amis [le parolier Boris Bergman, le producteur Maurice Bernart et le coursier Thierry Labelle, ndlr], l’abandon est encore plus grand. Ce sont des complices bienveillants, généreux et en même temps curieux de ce que ma caméra fait d’eux. J’en ai choisi trois pour célébrer l’amitié dans ce film.

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Ce qui est bouleversant, c’est votre capacité d’étonnement face à ce que les adultes ne regardent plus d’habitude. D’où vous vient ce pouvoir ?

J’ai commencé par filmer surtout des visages et des corps d’acteurs. La séduction qu’ils exerçaient sur les spectateurs me passionnait, je faisais tout pour la mettre en valeur. Puis j’ai découvert que les fruits, les oiseaux, la couleur du ciel, tout ce que vous voulez, avaient autant d’importance que cette tyrannie du visage humain dont parle Charles Baudelaire [dans son poème « À une heure du matin », ndlr] et que ne peuvent éviter les films de fiction pilotés par les stars. À pas légers, j’ai quitté les plateaux de tournage, les équipes, les plans de travail et l’écriture de scénarios. Pour filmer seul, en toute liberté, la vie en direct. Sous toutes ses formes et pour un prix raisonnable.

Vous n’êtes pas si seul : Françoise Widhoff et Michel Seydoux figurent à vos génériques depuis trente ans.

Tous les deux sont indispensables à la fabrication de mes films. Françoise m’accompagne dans la vie et dans la mise en forme de ce qu’enregistre ma caméra. Mon amitié avec Michel Seydoux fait qu’il me conseille dès le premier montage et introduit le film dans le paysage cinématographique jusqu’à la salle. J’ajoute que les personnes que je montre dans L’Amitié m’ont si bien regardé les filmer qu’ils devinaient ce que je cherchais chez eux et me l’offraient parfois sans que je m’en aperçoive, au moment de la prise de vue. Ces cadeaux m’ont enchanté jusqu’à m’amener à me découvrir moi-même et renforcer le jeu amical.

Dans un autre de vos films, Être vivant et le savoir (2019), vous dites : « Nous, cinéastes, sommes des primitifs… »

Louis Lumière, inventeur de la première projection publique, est né la même année que mon grand-père. Je fais partie de la troisième génération de cinéastes et je suppose que le cinéma n’est encore qu’un gros bébé. On le traite à égalité avec la littérature, la musique, la peinture… Alors que nous, nous n’avons rien : ni vocabulaire, ni grammaire, ni notes. Seulement une confusion, un désordre d’images et de sons qu’il faut faire semblant d’organiser. En fait, cette enfance est une aventure magique, difficile à raconter en même temps que nous la vivons.

Cueillir la vie n’est-il pas plus difficile que de réaliser une fiction ?

Je suis né avec une telle attirance pour tout événement vital que je me suis toujours méfié de mon imagination. Quand je reproduisais avec les acteurs une séquence de ma vie, je ne parvenais pas à retrouver l’éblouissement de l’original. Je n’étais pas satisfait et l’acteur non plus. Je lui imposais des gestes qui ne convenaient pas à sa nature. D’un côté comme de l’autre, il y avait une gêne suivie d’un échec.

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Vous avez tout de même tourné avec Vincent Lindon dans Pater, en 2011…

Mais il n’y avait ni scénario écrit ni équipe. Aucun témoin de notre travail. Nous avancions en tâtonnant. Et cela pendant un an, dans les temps libres de Vincent entre ses tournages. Nous faisions un effort formidable pour assurer une mission politique basée sur la réduction de l’écart entre ceux qui gagnent beaucoup d’argent et les autres. Vincent et moi étions nous-mêmes et par moments Premier ministre et président de la République. C’était une folie qui me laisse encore dans la stupeur, et aussi dans le ravissement. J’y secouais mes certitudes ; je les ai retrouvées enrichies par cette escapade.

Filmer la vie, selon vous, cela empêche-t-il de la goûter ?

Je me suis posé la question pendant des années ; en fait, c’est le contraire. Lorsque je vois se dérouler quelque chose d’étonnant dans le viseur de ma caméra, mon émotion est multipliée par le fait que je garde une trace de ce bonheur offert par la vie. Quand je filmais les actrices, il y a longtemps, j’en étais, comme tous les cinéastes, légèrement pincé. J’aimais beaucoup laisser les grosses caméras de l’époque enregistrer sur la pellicule les discrètes preuves de mon émoi. Romy, Léa, Catherine, Camille, Isabelle, une deuxième Catherine… C’était l’amitié aussi.

L’Amitié d’Alain Cavalier, Tamasa (2 h 04), sortie le 23 avril

Portrait (c) Philippe Lebruman / Festival La Rochelle Cinéma / Camera One

Image (c) Pathé Distribution

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