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« Eat the Night » de Caroline Poggi-Jonathan Vinel : un sidérant thriller numérique
- Marilou Duponchel
- 2024-07-12
Pour leur deuxième long métrage, le tandem Caroline Poggi-Jonathan Vinel réalise un thriller et mélo hybride, naviguant entre l’asphalte d’une zone industrielle du Havre et la féerie gothique d’un jeu vidéo prêt à disparaître. Une élégie traversée par un fulgurant désir d’insurrection et de cinéma.
Il y a une magnifique idée dans Eat the night, qui consiste à associer un jeu vidéo de dark fantasy, baptisé Darknoon, au territoire de l’enfance, à celui de Pablo et Apolline. Le frère et la sœur aiment s’y retrouver, drapés des vêtements virtuels de leurs avatars qui sont comme des secondes peaux, pour arpenter ce monde sans règles et sans frontières, pour être ensemble.
Eat the Night a à peine le temps de commencer que déjà l’on apprend la fin imminente du jeu, et avec elle les adieux obligés à cet éden. Car c’est bien comme un paradis perdu, contaminé par la violence du dehors mais préservé de ses réels effets, que les cinéastes envisagent cet univers magique au goût de madeleine, eux dont les films n’ont cessé de mettre en scène des solitudes extirpées des ravages de la tristesse par la rencontre d’une famille élue. Darknoon est de ces refuges-là, seul rempart, avec la drogue et l’amour, capable de rendre le monde supportable.
« Eat The Night », ce qu’on sait du film de Caroline Poggi et Jonathan Vinel sélectionné à la Quinzaine des cinéastes
Lire l'entretienChez les Poggi-Vinel, la noirceur et la violence sont proportionnelles à cet immense sentiment d’abandon qui irrigue leur œuvre. La désolation imprime les paysages stériles d’Eat the Night, périphéries urbaines où rien ne se passe, pavillons impersonnels, et s’inscrit sur le visage de son trio magique : Théo Cholbi, Erwan Kepoa Falé et Lila Gueneau. Ce film mutant mêle à son récit de fin d’enfance une histoire d’amour fiévreuse, une histoire de deal (et avec elle une scène de fabrication d’ecstasy déjà culte) et celle d’une lutte contre une bande rivale lancée à la poursuite de deux amants.
La persécution dont ils font l’objet s’insère dans la logique du scénario, mais raconte aussi l’homophobie banale que subissent ces amoureux de galère dont le cinéma manque tant. Enfin, il y a une scène magnifique dans Eat the night, qui rejoue celle déchirante du Voyage en Italie de Roberto Rossellini, où les retrouvailles s’accompagnent d’un sentiment de perte, mais où le monde ne semble habitable et acceptable que lorsqu’on est à deux, duo de frères et sœurs, de bien-aimés, de cinéastes amoureux.
Les précédents films de Caroline Poggi et Jonathan Vinel à l’occasion de la sortie en salle de EAT THE NIGHT le 17 juillet sont dispos sur MUBI :
- Jessica Forever
- Tant qu'il nous reste des fusils à pompe
- Bébé colère
- Il faut regarder le feu ou brûler dedans
Image : © Tandem Distribution