En couv de TROISCOULEURS, le cinéma iranien au service de la révolte

EDITO · Début mai, une légende était en marche. À Cannes, il se murmurait que Mohammad Rasoulof venait de traverser à pied la frontière iranienne pour rejoindre le Festival français.

Arrêté et condamné à un an de prison dans son pays en 2010 pour « actes et propagande hostiles à la République islamique d’Iran » (il venait de coréaliser un film avec Jafar Panahi), privé de son passeport à la sortie d’Un homme intègre (prix Un certain regard à Cannes en 2017), condamné à une autre année de prison pour propagande contre le régime en 2019, empêché de recevoir son Ours d’or à la Berlinale 2020 pour Le diable n’existe pas, car interdit de sortie du territoire, Rasoulof a écopé le 8 mai dernier d’une énième condamnation par les autorités iraniennes : huit ans de prison et des coups de fouet pour « collusion contre la sécurité nationale ».

Le Festival de Cannes venait d’annoncer la sélection en Compétition officielle de son dernier film, tourné clandestinement, Les Graines du figuier sauvage (qui remportera le Prix spécial du jury). Alors que les membres de son casting étaient aussi inquiétés par le régime, comme nous l’a expliqué son actrice Mahsa Rostami, qui s’est exilée en Allemagne après le tournage, Mohammad Rasoulof n’a pas hésité à couper – peut-être à tout jamais – les ponts avec son pays. Une décision radicale et admirable de la part de celui qui a toujours mis son art au service de son peuple et de la liberté, luttant le plus longtemps possible pour le faire de l’intérieur. 

Mettant en scène, dans Les Graines…, une cellule familiale iranienne en crise, Rasoulof reflète un monde verrouillé, qu’une partie de la population fait tout pour faire bouger, et montre la lutte entre l’ancienne et la nouvelle génération à travers celle pour les droits des femmes (incarnée par le mouvement Femme, vie, liberté, lancé en 2022 à la suite de la mort de l’étudiante Mahsa Amini après son arrestation par la police des mœurs). Par le cinéma, l’artiste de 52 ans contribue ainsi à engrener la révolte. 

En Iran germent en ce moment des fruits qui ne semblent pas déliés de son combat de longue date, selon ce que nous a confié l’actrice et réalisatrice iranienne Zar Amir Ebrahimi, exilée depuis 2008 : « […] Depuis deux ans, je sens que cela bouge. Les cinéastes ne peuvent plus rester dans le silence. Beaucoup d’actrices ont enlevé leur hijab et ne peuvent plus travailler, pas mal de cinéastes les soutiennent. En ce moment, je sais qu’il y a beaucoup de films underground qui se tournent en Iran. Il n’y a pas de budget, et ils peinent donc à trouver leur chemin vers les festivals internationaux. Mais j’en ai vu quelques-uns et je pense que, dans deux ou trois ans, nous aurons une nouvelle vague de cinéma iranien. » C’est tout ce que l’on souhaite à cette terre de cinéma, dont Mohammad Rasoulof restera, quoi qu’il arrive, une des plus grandes légendes. • TIMÉ ZOPPÉ

AU SOMMAIRE DU N°207

EN BREF 🏃‍♀️

ENTRETIEN DU MOIS - BÉNÉDICTE SAVOY

RÈGLE DE TROIS - LE FILIP

NOUVELLES STARS - CLARA-MARIA LAREDO & JULIETTE GASQUET

CINÉMA 🎬

EN COUVERTURE - LES GRAINES DU FIGUIER SAUVAGE

ENTRETIEN - MATI DIOP POUR DAHOMEY

DÉCRYPTAGE - LE RENOUVEAU DU CINÉMA ÉROTIQUE

ENTRETIEN CROISÉ - LAETITIA DOSCH ET OVIDIE

CINEMASCOPE - LES SORTIES DU 4 SEPTEMBRE AU 2 OCTOBRE

CULTURE 🎨

SPECTACLES – RETOUR D'AVIGNON

SON – JAMIE XX

Comme d'habitude, vous pouvez récupérer gratuitement la version papier dans tous les mk2. Pour les digital natives, rendez-vous ici, pour vous dégoter la version pdf !

Image : ©