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"Des Hommes" de Lucas Belvaux : La guerre d'Algérie à l'écran
- 2021-05-31
"Des hommes" de Lucas Belvaux (en salles le 2 juin) suit un vétéran de la guerre d’Algérie véhiculant rancœur et racisme dans un village français. Cette poignante saga familiale nous plonge dans les horreurs commises lors des « événements », le difficile retour en France et le silence qui a suivi. Tient-on enfin le grand film sur le sujet ? Réponse avec Benjamin Stora, spécialiste de la guerre d’Algérie.
Aucun film sur la guerre d’Algérie n’a connu de vif succès populaire. Ce sujet est-il tabou ?
Le cinéma français a produit quarante ou cinquante films sur la guerre d’Algérie, mais il y a une sensation de tabou. La première raison vient de l’impression que chacun de ces films s’adresse à une communauté particulière : Le Coup de sirocco d’Alexandre Arcady, en 1979, aux pieds-noirs, L’Honneur d’un Capitaine de Pierre Schoendoerffer, en 1982, aux officiers, etc. Il y a une sorte de séparation des écrans. Depuis quelques années, il y a une volonté de s’adresser à tous les publics.
C’était le cas de Ce que le jour doit à la nuit d’Alexandre Arcady. La deuxième raison, c’est qu’on n’a pas envie de savoir que ces films existent et pas envie de les regarder. Ceux qui ont vécu cette histoire n’ont pas envie de se replonger dedans. Quant à la société française en général, pendant longtemps, elle a voulu l’oublier : oublier les drames, les trahisons, les massacres… Ce qui fait que ces films n’ont pas bien marché en salles. Celui qui fait le plus d’entrée, L’Ennemi intime de Florent-Emilio Siri, n’a fait qu’un million d’entrées.
Qu’est-ce qui différencie cette guerre de celle du Viêt Nam, qui a été racontée dans des films à maintes reprises avec succès ?
L’Amérique a pu assumer la guerre du Viêt Nam immédiatement, parce qu’elle n’était pas confrontée à l’existence d’une colonie de peuplement. En Algérie, il y en avait une très grande, et un contingent d’un million et demi de militaires. La guerre d’Algérie, c’est un drame intérieur, il fallait l’oublier pour avancer. C’est aussi plus compliqué à montrer comme sujet. D’autant que les différents groupes qui ont vécu cette histoire s’en sentent propriétaires. Ils veulent dicter ce qui est raconté, rester dans une situation où ils ont eu raison dans le passé. Les immigrés et les pieds-noirs n’ont pas du tout le même rapport à l’histoire. Les pieds-noirs sont persuadés qu’ils vivaient dans une Algérie heureuse où il n’y avait pas de racisme ; les descendants d’immigrés, pas du tout.
Qu’est-ce qui différencie cette guerre de celle du Viêt Nam, qui a été racontée dans des films à maintes reprises avec succès ?
L’Amérique a pu assumer la guerre du Viêt Nam immédiatement, parce qu’elle n’était pas confrontée à l’existence d’une colonie de peuplement. En Algérie, il y en avait une très grande, et un contingent d’un million et demi de militaires. La guerre d’Algérie, c’est un drame intérieur, il fallait l’oublier pour avancer. C’est aussi plus compliqué à montrer comme sujet. D’autant que les différents groupes qui ont vécu cette histoire s’en sentent propriétaires. Ils veulent dicter ce qui est raconté, rester dans une situation où ils ont eu raison dans le passé. Les immigrés et les pieds-noirs n’ont pas du tout le même rapport à l’histoire. Les pieds-noirs sont persuadés qu’ils vivaient dans une Algérie heureuse où il n’y avait pas de racisme ; les descendants d’immigrés, pas du tout.
Propos recueillis par Aline Mayard
Des Hommes de Lucas Belvaux (Ad Vitam, 1 h 41)
Image : Copyright Synecdoche - Artemis Productions Photographe David Koskas