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« Le Serment de Pamfir » : état d’alerte

  • Corentin Lê
  • 2022-10-27

Avec l’impressionnant « Le Serment de Pamfir », son premier long métrage, Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk signe la chronique d’une lente descente aux enfers dans la campagne ukrainienne. Un film virtuose et anxiogène sur la menace de l’inertie dans une époque sans repères.

Difficile de revenir au pays après plusieurs mois passés à travailler à l’étranger sans être un brin déboussolé : c’est la situation dans laquelle se retrouve Pamfir (Oleksandr Yatsentyuk), un père de famille qui n’a pas eu d’autre choix que de retourner dans son village natal, au milieu d’une province reculée de l’ouest de l’Ukraine, près de la frontière avec la Roumanie. Les retrouvailles sont de prime abord heureuses, mais un soir son fils, Nazar, met accidentellement feu à la paroisse du village…

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Premier long métrage du jeune cinéaste ukrainien Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk, Le Serment de Pamfir est tout entier dévolu à son personnage-titre, ours bourru et attachant qui tente, malgré l’extrême précarité dans laquelle est en train de tomber sa famille, de maintenir le navire à flot (jusqu’à truander s’il le faut, en renouant avec son passé de contrebandier).

À l’image des masques que portent les habitants du village pour les préparatifs d’un carnaval ancestral (le festival Malanka), Pamfir est un film aux mille visages, à la fois drame sociétal sur la déshérence des zones rurales, tragédie familiale sur fond de sacrifice paternel et film de gangster sur la propagation de la violence au sein d’une petite communauté repliée sur elle-même.

Avec de longs plans-séquences évoquant le cinéma de Béla Tarr ou, dans une veine plus bruyante et circassienne, celui d’Emir Kusturica, Sukholytkyy-Sobchuk étire ses plans jusqu’à l’épuisement, maintenant ses personnages (et les spectateurs avec eux) en état d’alerte permanent. La caméra ne cesse alors de flotter et de tournoyer à la manière d’un spectre en panique, ses mouvements giratoires préfigurant autant la ronde carnavalesque qui prend place à la fin du film que l’horizon carcéral (et centripète) du récit, qui se referme comme un piège sur un guet-apens digne d’un western.

D’une chorégraphie à une autre, l’énergie vitaliste que déploie le film, surtout lors de son impressionnant carnaval en forme de climax final, s’accompagne ainsi du portrait d’un homme épuisé dont la résis­tance désespérée prend place dans une époque sans phare ni repère. Dans Le Serment de Pamfir le danger vient de tous les côtés, de sorte que l’on ne sait plus où aller, quitte à risquer le surplace, la paralysie puis la mort. Un constat d’autant plus implacable maintenant que cette région de l’Ukraine est devenue, à la suite de l’invasion russe dans l’est du territoire, une zone de repli et de passage pour les réfugiés venus des quatre coins du pays. Désormais, où atterrir ?

3 QUESTIONS À DMYTRO SUKHOLYTKYY-SOBCHUK

Les événements récents en Ukraine ont-ils changé le regard que vous portez sur votre film ?

Le film se déroule pendant la période dite de la « guerre hybride », qui était menée par la Russie dans le Donbass depuis plusieurs années. Si le récit prend place de l’autre côté du pays, on a le sentiment qu’un danger est quand même présent, que quelque chose de grave pourrait arriver. Il est désormais difficile, en visionnant le film, de ne pas penser au conflit.

On a en effet la sensation que l’étau se resserre autour de Pamfir et de son entourage, qu’ils sont emprisonnés même lorsqu’ils sont à l’extérieur…

Le défi était, avec mon chef opérateur, d’accompagner le personnage tout en permettant aux spectateurs de découvrir ce qui se passe autour de lui, comme devant un tableau de Jérôme Bosch. Il s’agit de se plonger au sein d’un monde hétérogène, inquiétant voire anxiogène, au plus près de l’expérience existentielle qu’en a Pamfir.

L’impasse dans laquelle se trouve votre personnage est-elle représentative de la situation des populations rurales en Ukraine ?

Pamfir est un personnage attaché aux coutumes et qui n’arrive pas à suivre le rythme du contemporain. C’est pourquoi il se retrouve dans cette impasse. Mais, à mesure que le film progresse, on peut reconnaître une transformation chez lui, dans la manière dont il s’adresse notamment à son fils, qui incarne une forme de changement, voire d’espoir.

Le Serment de Pamfir de Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk, Condor (1 h 42), sortie le 2 novembre

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