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Vu au Cinemed : « Atlantic Bar » de Fanny Molins : le dernier bar avant la fin du monde  

  • Léa André-Sarreau
  • 2022-10-27

Dans son fabuleux premier documentaire, passé auparavant par l’ACID, la photographe Fanny Molins nous immerge dans le quotidien d’un troquet menacé de fermeture. Elle en tire des portraits d’êtres disloqués par la vie, mais qui n’ont rien renié de leur furieuse joie.

Ce film a été sélectionné dans la compétition documentaires du Festival du Cinéma Méditerranéen de Montpellier.

C'est bien connu : les bars sont une excellente école de vie. On y croise des égarés, des habitués, tout un microcosme qui renferme, dans l'espace d'un huis-clos, l’instantané d’une époque. Celui choisi par Fanny Molins se résume à un comptoir en zinc, une salle en enfilade, des tables désertées sur le trottoir de la ville d’Arles, dans les Bouches-du-Rhône.

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Derrière la caisse, une héroïne que la fiction n’aurait pas su inventer : Nathalie, clopeuse compulsive, alcoolique chronique, et championne hilarante du bon mot. Avec son mari Jean-Jacques, elle sert des pastis et arbitre les parties de cartes, tout en repoussant l’inévitable : l’Atlantic va bientôt fermer, privant de refuge les quelques marginaux qui viennent s’y oublier au fond de la bouteille.  

Fanny Molins était venue ici dans l’optique de réaliser un reportage photo sur l’alcoolisme – les rencontres l’ont forcée à élargir les œillères de son approche sociologique, à le teinter d’humanisme. Les clients, avec leurs gueules abîmées, traînent des histoires pas faciles qu’on devine au détour d’une parole ravalée, d’un regard fatigué, d’une main calleuse saisie en gros plan.

Il se sont tous frottés, d’une manière ou d’une autre, au gouffre de l’addiction. Celle des casinos, de l’apéro, du tabac, ou de la dépense : chacun se confie, au point que le film en devient presque un traité philosophique terriblement lucide sur cette maladie. La séquence où Nathalie confesse ne pas boire par plaisir éclaire avec finesse ce que Gilles Deleuze explique dans son Abécédaire : en buvant trop, l’alcoolique ne cherche pas l’ivresse, mais bien sa propre limite, celle qui lui permettra de ne pas s’effondrer et de continuer à boire le lendemain.  

Si la réalisatrice évite l’écueil de la tranche de vie naturaliste qui tourne au misérabilisme, l’accumulation stérile de moments de vie désespérés, c’est parce qu’elle tire ses protagonistes de leur situation précaire par un sens du montage drolatique, et des épiphanies irréelles. L’Atlantic est un lieu de théâtre qui ne s’avoue pas comme tel, mais où l’on rejoue informellement sa vie pour conjurer les drames. On pense à une séquence de braquage rocambolesque reconstituée par un ancien voyou, et à une parenthèse chantée-dansée sur La Tendresse de Bourvil – de quoi nous persuader que ce bar est un décor interchangeable pour les souvenirs et rêves perdus.  

En filmant ce monde qui s’apprête à mourir dans l’indifférence, Fanny Molins met au premier plan les piliers de comptoir, les solitaires éméchés, ceux que l’on réduit à peau de chagrin dans les films, sans doute parce que leurs conversations imbibées portent une vérité sociale que l’on ne veut pas entendre.

Atlantic Bar de Fanny Molins (Les Alchimistes, 1h17)

Le film n'a pas encore de date de sortie.

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