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7 amitiés iconiques entre cinéastes
- Justine Carbon
- 2024-05-27
Le 77e Festival de Cannes s'est conclu sur une note douce : l'image de la bromance entre les réalisateurs Francis Ford Coppola et George Lucas - ce dernier a reçu des mains de son BFF une Palme d’or honorifique. Ce qui nous a inspiré un focus sur de grandes et fructueuses amitiés entre cinéastes, avec notamment les duos Agnès Varda-Shirley Clarke, ou Todd Haynes-Kelly Reichardt.
GEORGE LUCAS + FRANCIS FORD COPPOLA : les fidèles
À Cannes, sous un tonnerre d’applaudissements, les deux réalisateurs américains se sont pris dans les bras l'un de l'autre, après la remis d'une Palme d'or d'honneur pour George Lucas. Le réalisateur du Parrain a pris le temps de conter les prémisses de leur amitié. « J’ai rencontré George Lucas quand il était étudiant à l’Université de Californie du Sud , école de cinéma concurrente de la mienne [l'UCLA, où il est entré en 1960, ndlr]. Il était venu me voir sur le tournage de mon premier film. Je lui ai proposé de revenir chaque jour à condition qu’il fasse une brillante suggestion chaque jour. C’est ainsi qu’a commencé notre amitié qui n’a jamais cessé. »
Cette rencontre entre les deux mastodontes du cinéma américain aurait donc eu lieu sur le tournage de La Vallée du bonheur en 1967, qui est le premier film que Coppola réalise pour un studio (ici la Warner) - il a alors 28 ans. C'est une comédie-musicale plutôt ambitieuse, puisqu'elle compte dans son casting le célèbre Fred Astair. Le timide George Lucas, 23 ans à l'époque, finit alors discrètement son stage à la Warner, et n'ose approcher Coppola, personnalité extravertie qui a alors le vent en poupe.
Ce dernier le rattrape avant que Lucas ne s'éclipse. S'amorce alors une amitié et une collaboration de longue date. Les deux frères de cinéma se retrouvent sur THX 1138, le long métrage de science-fiction un peu fou du futur réalisateur de Star Wars, que la Warner sort - un peu à contre-cœur - en 1971. Bref, ces deux-là, un peu geeks dans l'âme et fous de science-fiction, ont bien plus en commun que leur éternelle barbe de trois jours.
Bonus : cette photo 👌 piquée à JR sur Instagram.
JOEY SOLOWAY + AVA DUVERNAY : les battant•e•s
Lorsque Joey Soloway est mis-e en contact avec Ava DuVernay, iel est en pleine recherche de distributeur pour Afternoon Delight (2013), son premier long métrage. Ava DuVernay, qui a débuté sa carrière de réalisatrice et productrice sept ans plus tôt avec le court métrage Saturday Night, dirigeait alors sa propre société de distribution locale : AFFRM (maintenant appelée ARRAY).
Grâce à cette rencontre, Soloway entrevoit un moyen pour commercialiser son travail mais surtout, iel échange à cette occasion avec DuVernay sur la défense des oeuvres réalisées par les femmes sous-représentées. « Elle me disait procéder pour les films indépendants réalisés par des femmes de la même manière que pour les films réalisés par des personnes de couleur », pour reprendre des propos de Joey Soloway, partagés par le média Paste.
À l'aise au cinéma comme sur le petit écran, les deux artistes ont imposé de nouveaux narratifs, pour mettre en lumière les laissés-pour-compte. Leurs engagements sont en effet indissociables de leurs œuvres. On pense à Transparents (2014-2019), série dans laquelle Joey Soloway aborde la transidentité avec le personnage de Maura Pfefferman, une femme entamant sa transition sur le tard. Quant à Ava DuVernay, elle questionne la dimension systémique du racisme aux États-Unis avec Dans leur regard (When They See Us), inspiré de l'affaire Central Park Five. Des copaines engagé·e·s qu'on devine aussi coriaces que drôles, et avec qui on prendrait bien un café pour refaire le monde.
MIRANDA JULY + GRETA GERWIG : bien dans leurs baskets
L’amitié entre les deux réalisatrices fans d’Agnès Varda s’est scellée... grâce à des chaussures. Greta Gerwig sort du tournage de 20th Century Women (2016) de Mike Mills (mari de July) lorsque la réalisatrice de Kajillionaire (2020) lui offre cette paire. La raison de ce cadeau est plutôt banale - les chaussures ne convenaient juste plus à Miranda July. Mais la réalisatrice de Barbie (2023) est à l'époque en plein syndrome de l'imposteuse, doutant de sa légitimité à devenir réalisatrice. Elle décide de voir dans cette offrande le symbole d'une confirmation : avec cette paire, Miranda July lui permet de se mettre à sa place, "to be put in her shoes", pour reprendre l'expression anglophone.
Second signe du destin : la réalisatrice Rebecca Miller, qui dirige Gerwig dans la comédie romantique Maggie a un plan en 2015 (actuellement diffusée sur France TV), lui offre à son tour une paire de chaussures. Greta Gerwig parle de ces deux anecdotes comme des « signes » déclencheurs de sa carrière de cinéaste. Avec leurs œuvres respectives, Greta Gerwig et Miranda July nous ont offert des portraits d'adolescentes et jeunes femmes particulièrement badass. On rêverait d'un multivers où se rencontreraient Old Dolio (Kajillionaire, 2020) et Christine (Lady Bird, 2017).
ISSA RAE + MELINA MATSOUKAS : casseuses de codes
Issa Rae et Melina Matsoukas nous ont offert entre 2016 et 2021 plusieurs portraits contemporains, drôles et authentiques de femmes racisées à Los Angeles, avec la géniale série HBO Insecure. Lorsqu'Issa Rae (actrice principale, scénariste et showrunneuse de la série) est sur le point de lancer son programme, elle pense directement à Melina Matsoukas pour la réalisation. Cette dernière a réalisé le pop et romantique Queen & Slim (2019) et s’était principalement illustrée dans la réalisation de clips, notamment pour Rihanna (« We Found Love »), ou encore Solange Knowles (« Losing You »).
La rencontre entre les deux cinéastes vaut son pesant d'or. Pour approcher Issa Rae, Melina Matsoukas décide de lire The Misadventures of Awkward Black Girl (2015), l'autobiographie très drôle d'Issa Rae. Elle dévore le livre et décide rapidement de rencontrer l'autrice. Leur première rencontre se traduit par une visio catastrophique, où l'échange est quasi impossible à cause d'une mauvaise connexion. Melina Matsoukas prend son envol pour L.A. et à partir de là, les brunchs et dîners s'enchaînent.
Liées par une volonté commune de créer une œuvre collective et inclusive, les deux besties créeront donc ce bijou qu'est Insecure, plongée transgressive dans la communauté afro-américaine des Etats-Unis. « Les femmes noires ne sont pas amères. Elles en ont juste assez de devoir se contenter de moins », pour reprendre une des répliques cultes du personnage d'Issa Rae.
AGNÈS VARDA + SHIRLEY CLARKE : hippie love
Reines de l'avant-garde, Agnès Varda et Shirley Clarke ont travaillé ensemble sur l’un des films les plus confidentiels de Varda : Lions Love (... and Lies) (1969). Ce n'est pas un hasard si Agnès Varda choisit de faire tourner Shirley Clarke. Les deux artistes partagent le fait d'être une réalisatrice dans les années 1960, période où les courants artistiques sont dominés par des hommes alors même que la révolution sexuelle est en cours. Lions Love (... and Lies) met d'ailleurs en scène, dans une villa hollywoodienne, un triangle amoureux formé par plusieurs stars de la scène alternative (James Rado et Gerome Ragni, stars et co-auteurs de la comédie musicale de 1967 Hair: The American Tribal Love-Rock Musical).
À y regarder de près, l'oeuvre de Shirley Clarke et d'Agnès Varda ont une parenté évidente. Agnès Varda s’est engagée dans les causes féministes et antiracistes. Durant sa période américaine, elle capte les coulisses du mouvement Black Panthers dans un film éponyme sorti en 1968. Les deux cinéastes ont adoré joué sur la frontière entre fiction et documentaire. Dans Connection (1961), Shirley Clarke met en scène un faux documentaire suivant huit jeunes fans de jazz qui se racontent des anecdotes dans un loft de Greenwich Village. Quant à Agnès Varda, elle n'a cessé d'injecter du réel dans des dispositifs romanesques (Documenteur, 1981).
Copines (on imagine) de manifs, Shirley Clarke et Agnès Varda défendent des causes sociales importantes. Shirley Clarke fait partie des signataires du manifeste pour le New American Cinema, qui vise à défendre un cinéma indépendant et libéré du modèle de production hollywoodien et est co-fondatrice de la Film-Makers' Cooperative à New-York avec Jonas Mekas. Les deux femmes signent respectivement des manifestes pro avortement, dont celui des 343, lancé par Simone de Beauvoir en 1971 dans un tribune du Nouvel Obsevateur. On ne comprend pas pourquoi elles n'ont pas été ministres.
Portrait of Shirley Clarke
Lire l'articleKELLY REICHARDT + TODD HAYNES : les poètes
Dans un entretien accordé à l'émission Affaires culturelles sur France Culture, Kelly Reichardt revient sur le coup de foudre artistique qu'elle a eu avec le réalisateur de Carol (2015). Elle intègre son équipe au poste d’accessoiriste, pour le film Poison (1991) : « J'avais envie de travailler avec Todd Haynes, qui est un vrai artiste ». Le tournage de Poison a été pour elle une expérience particulière, car le sujet du film (qui prend place en pleine épidémie du VIH-sida) a cimenté la cohésion des équipes, très investies dans la conception du film. À MUBI, elle raconte qu'elle a pu observer pour la première fois sur ce plateau un réel échange entre les départements.
La filmographie de Todd Haynes l'a également marquée de par son traitement du son et du rythme. Elle mentionne notamment le travail sonore de Haynes sur Safe (1995) et Far from Heaven (2002). Des leçons de mise en scène que Kelly Richardt a appliqué dans First Cow, amenant les spectateurs dans un état de contemplation active grâce au son.
Cette amitié s'est consolidée lorsque Todd Haynes a fait découvrir à Kelly Reichardt la ville de Portland, qui deviendra le décor préféré de cette dernière. Dans un entretien qu'il nous avait accordé, Haynes nous racontait cette histoire de connexion par le territoire : « J’ai fait découvrir Portland à Kelly quand j’y ai emménagé. Portland est devenu le sujet de ses films. Ce sentiment d’être en transit, c’est un thème fort de sa filmographie. Et puis il y a First Cow [le film raconte l’histoire de deux aventuriers en Oregon au début du xixe siècle, ndlr], qui parle de se construire un foyer. Kelly a réalisé ce film quand elle s’est installée à Portland. »
Dans un autre entretien, cette fois donné à BOMB Magazine, le cinéaste, figure du New Queer Cinema, a salué la carrière de sa collègue et amie, qui a su se faire une place dans un industrie très masculine : « Elle s’est battue bec et ongles pour pouvoir faire son film, sans les atouts dont on dispose d’ordinaire pour une première réalisation : pas d’école de cinéma, pas de court-métrage en guise de carte de visite, pas d’argent, ni de pénis. La plupart des cinéastes hommes ne veulent pas reconnaître les avantages, même infimes, que donne le fait d’appartenir au genre masculin. » Tant de love amical réchauffe notre petit coeur cinéphile.
Bonus : un pola génial des deux cinéastes
Portland, 1995 / Photo © Matt Ebert / © Collection Kelly Reichardt
WES ANDERSON + NOAH BAUMBACH : les (faux) jumeaux
C’est sur le cultissime La Vie Aquatique de Wes Anderson que les deux cinéastes travaillent pour la première fois ensemble. Noah Baumbach y seconde Wes Anderson au scénario. La collaboration se reproduit sur Fantastic Mr. Fox (2009). Une amitié qui semble avoir déteint à l'écran : plusieurs internautes ont noté des références culturelles communes aux deux cinéastes : J.D. Salinger, ou encore Max Ophüls et plus précisément son film Madame de... (1953).
Ce qui rapproche aussi les deux cinéastes, c'est leur désir de varier les tons, de découper des saynètes très précises et surtout celui de raconter des familles américaines dysfonctionnelles (on pense aussi bien à La Famille Tenenbaum d'Anderson, sorti en 2001, qu'à Les Berkman se séparent de Baumbach, sorti en 2005). Au moment de la sortie de Fantastic Mr. Fox, Noah Baumbach est revenu dans une interview avec l'écrivain et réalisateur Antonio Monda sur le fonctionnement de leur collaboration, marquée par une forme de télépathie ou de gémellité : « Wes pense sûrement comme moi, mais j'ai vraiment l'impression qu'au fil de l'écriture, on ne sait plus vraiment de qui vient l'idée... Quand on a une conversation qui se passe bien, on fabrique ensemble. »
Si un nouveau projet commun entre les deux cinéastes n'est malheureusement pas à l'ordre du jour, l'actu autour de Wes Anderson s'annonce intense. Le cinéaste fera l'objet d'une exposition à la Cinémathèque française en 2025 et il sera l'invité d'honneur du prochain Festival d'Annecy, qui aura lieu du dimanche 9 juin au samedi 15 juin.
Bonus : cette vidéo des deux cinéastes pour la New York Public Library. Ils reviennent sur la genèse de Fantastic Mister Fox. Saurez-vous trouver les sept points qui les différencient ?
Image : © DR