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« Chienne de rouge » de Yamina Zoutat : un sublime film mutant

  • Chloé Blanckaert
  • 2024-01-26

[Critique] À la manière d’un « chien de rouge », dressé pour retrouver les proies blessées lors d’une partie de chasse, Yamina Zoutat piste intensément son sujet : le sang. Elle en tire un film mutant, viscéral et réparateur.

« Je me suis réveillée un matin avec ce désir : filmer du sang », confie en voix off la réalisatrice Yamina Zoutat au début de Chienne de rouge, son troisième long métrage. Pour elle, tout commence en 1999. Chroniqueuse judiciaire pour la télévision, elle couvre le procès du sang contaminé et suit à contrecœur une injonction de sa hiérarchie qui lui interdit de filmer du sang. Vingt-quatre ans plus tard, elle tient sa revanche et montre ce qu’on évite souvent de regarder avec un jusqu’au-boutisme impressionnant.

Le premier liquide rouge qu’elle filme, c’est le sien. Plus précisément celui des menstrues, souvent considéré comme impur, auquel elle rend ses lettres de noblesse en soulignant son rôle essentiel dans la création de la vie. Loin de chercher à choquer, elle guide plutôt le spectateur dans l’observation de l’hémoglobine, de l’intime à l’universel. Elle accompagne ensuite un convoyeur dans sa course parisienne alors qu’il transporte des poches de ce précieux liquide destiné à des greffes. Puis bascule vers l’évocation plus douloureuse de ce fluide – du faux cette fois ! –, en l’observant couler des blessures d’étudiants en médecine, jouant le rôle de victimes lors d’un exercice de préparation aux attentats...

Caméra à la main, la réalisatrice s’infiltre au cœur des artères de la ville de Paris et en tire une œuvre protéiforme, en mouvement perpétuel, qui étonne par sa singularité formelle, mêlant prises de vue réelles et extraits de films, de Nosferatu le vampire de F. W. Murnau (1922) aux Ailes du désir de Wim Wenders (1987). Mais c’est dans sa seconde partie que Chienne de rouge surprend le plus. Poursuivant son étude de l’intimité de la cinéaste en dévoilant un secret de famille, le film opère une dernière métamorphose et s’interroge sur nos identités et notre héritage commun. Avec ce très beau récit, Yamina Zoutat sonde les plaies béantes de notre société pour nous aider à cicatriser.

Chienne de rouge de Yamina Zoutat, Shellac (1 h 40), sortie le 14 février.

TROIS QUESTIONS À YAMINA ZOUTAT

D’où est venu ce désir de filmer du sang ?

Cette idée s’est imposée à moi par surprise en 2017. Rapidement, un flot d’images de cinéma ont surgi à partir de ce mot. Je venais de finir mon précédent long métrage, Retour au Palais (2018), alors j’ai pu m’engouffrer dans cette idée. J’ai été séduite par l’ambivalence du sujet : le sang, c’est la mort, mais aussi la vie.

Vous filmez surtout des corps féminins. Pourquoi ce choix ?

Je l’ai fait de manière inconsciente. Il faut croire que cette envie de représenter le corps féminin à tout âge était très profonde. Le titre évoque aussi les nouvelles générations de féministes qui se sont réapproprié l’adjectif « chienne », terme qui pourtant nous déconsidérait en tant que femmes. Ici, il est évocateur du féminin que je voulais mettre en valeur.

La particularité du film, c’est aussi son montage...

Cette étape a été très longue. On a travaillé sans modèle préétabli. Je voulais jouer avec tous les éléments de récits et les différentes textures d’images, pour faire de tous ces éléments disparates une seule et même histoire. Résultat, la forme filmique que je propose est une vraie expérience de cinéma.

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