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CANNES 2024 · « Santosh » de Sandhya Suri : enquête sur un féminicide

  • Damien Leblanc et Léa André-Sarreau
  • 2024-05-24

[CRITIQUE] Une veuve indienne débute comme policière et découvre la violence et le sexisme de la profession. Sous forme de thriller immersif, le premier long métrage de fiction de Sandhya Suri est un estomaquant brûlot politique.

Jusqu’ici réalisatrice de documentaires, Sandhya Suri a été propulsée dans la section Un certain regard du dernier Festival de Cannes avec son premier long métrage de fiction, qui prend des airs de thriller d’émancipation féminine. Dans une région rurale du nord de l’Inde, Santosh (excellente Shahana Goswami), jeune femme de 28 ans dont le mari policier vient de mourir en tentant de contenir des émeutes, découvre l’existence d’un programme gouvernemental de « nomination compassionnelle », qui permet à la veuve d’hériter du poste d’agent de police qu’occupait son mari. Formée sur le tas, Santosh est prise sous l’aile d’une inspectrice expérimentée nommée Sharma (Sunita Rajwar). Ensemble, elles vont plonger dans une perturbante enquête sur la mort d’une adolescente de caste inférieure, qui a été violée et jetée dans un puits…

Sandhya Suri cultive une veine réaliste qui captive par sa minutieuse mise en scène de l’espace. S’étant entretenue pour préparer son film avec plusieurs veuves de gardiens de la paix propulsées policières, la cinéaste réussit à ausculter un univers dans lequel règnent la corruption et les brutales inégalités entre castes. Rivé à sa protagoniste qui se débat dans un système machiste, le film excelle à valoriser une héroïne constamment regardée avec défiance ou désir par les mâles qui l’entourent. Mais il parvient surtout à montrer comment une enquête pour féminicide va se révéler bâclée et manipulée de l’intérieur.

Sur fond de colère populaire, ce polar cinglant nous emmène jusqu’au bout d’une tragédie qui fait sortir sa protagoniste du déni et de l’aveuglement. Et cette peinture d’un monde moralement trouble de détricoter les clichés du genre pour affirmer la nécessité de combattre un chaos systémique.

Trois questions à Sandhya Suri :

Quelle est la genèse du film ? 

Avant, je travaillais pour des O.N.G. sur la question des violences faites aux femmes. Je voulais en faire un documentaire, sans trouver le bon angle. En 2020, à Delhi, il y a eu l’affaire Nirbhaya [une jeune femme a été violée et assassinée par six hommes dans un bus, ndlr]. Des femmes ont manifesté pour dire leur colère. Je suis tombée sur la photo d’une femme policière, en uniforme, au regard énigmatique. Je me suis dit : « Comment se positionne-t-elle face à cette violence ? »

La relation entre Santosh et Sharma, sa supérieure, est très ambiguë. Comment l’avez-vous écrite ?  

Ces deux femmes ont une relation complexe. Sharma est un mentor pour Santosh, elle lui fait accéder à l’émancipation, lui apprend à exister dans un monde d’hommes, autant qu’elle lui apprend la corruption. Il fallait que cette femme autoritaire reste opaque : croit-elle à sa propre rhétorique autour du système de corruption ? On ne sait pas.

Comment avez-vous abordé le genre du film policier ?  

En faisant un pas de côté par rapport aux représentations proposées par Bollywood. C’est un cinéma dans lequel la figure du flic est souvent glorifiée, admirée, légitimée dans sa violence. Ici, je voulais instaurer un rythme lent, ne pas dramatiser la violence, pour montrer comment elle peut être décontractée au sein de la police hindoue.

Santosh de Sandhya Suri (2h, Haut et Cout), sortie le 17 juillet 2024

Image : © Taha Ahmad

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