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Jonás Trueba et Itsaso Arana : « Septembre sans attendre est totalement un film sur la crise de la quarantaine »
- Laura Pertuy
- 2024-05-21
Dans un échange créatif constant depuis leur première collaboration, en 2016, pour « La reconquista » (inédit en France), le réalisateur Jonás Trueba et l’actrice-réalisatrice Itsaso Arana proposent un dialogue sur l’amour qui se meurt dans « Septembre sans attendre », film qu’ils ont coécrit et qui a concouru à la dernière Quinzaine des cinéastes. Interview croisée.
Jonás Trueba, après Eva en août (2020) et Venez voir (2023), dans lesquels ils campaient déjà un couple, vous réunissez à nouveau Itsaso Arana et Vito Sanz, ici également coscénaristes. Comment Septembre sans attendre s’est-il amorcé ?
Jonás Trueba : Nous avons commencé à écrire ce film en janvier 2023 avec beaucoup de spontanéité. Après avoir dû abandonner un autre projet, j’ai eu un besoin soudain de m’essayer à la comédie, avec pour comédiens Itsaso et Vito. Le fait qu’ils aient déjà interprété des couples dans les films précédents a nourri Septembre sans attendre. Il se trouve que ce film répond à une phrase d’Alain Tanner [réalisateur suisse disparu en 2022, ndlr], qui présentait comme un idéal le fait qu’entre la première étincelle d’un film et la fin du processus de création il ne se passe pas plus d’une année. Certes, c’est rarement le cas, mais je suis fier de m’être tenu au calendrier pour ce film. Même si la temporalité du cinéma est souvent beaucoup plus étendue, il est important pour moi de garder cette impulsion de départ et de ne pas laisser trop de temps passer. J’ai besoin de continuer à faire du cinéma avec un certain élan.
Vous ne déméritez pas, avec quatre films en l’espace de cinq ans…
J. T. : Il y a cette volonté de rapidité qui entre en jeu, mais aussi la question de ce que l’on place dans un film. À mes yeux, il est important de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, de ne pas vouloir trop en dire ou placer des enjeux démesurés dans un projet. J’aime que la vie nous apporte des projets qui s’entrecroisent et que chacun d’entre eux ait son propre sens.
Septembre sans attendre s’amuse d’une mise en abyme dans laquelle Ale, que vous interprétez, Itsaso Arana, monte le film que nous sommes en train de visionner. Qu’est-ce qui a guidé votre collaboration sur ce film ?
Itsaso Arana : Ce film-ci s’est très clairement fait sur une invitation de Jonás, qui a demandé que le couple de protagonistes du film participe à l’écriture, même s’il en était le meneur. Vito et moi avons donc été incorporés au processus dès le départ. Dans ce nouveau projet, le ton était inédit, particulier, et nous avons essayé d’écrire une comédie à notre manière, en y amenant aussi mon positionnement et mon regard d’actrice.
J. T. : Il se trouve qu’Itsaso venait juste de vivre sa première expérience de réalisatrice [avec Les Filles vont bien, sorti en 2023, ndlr], et le fait de l’avoir observée en train de mettre en scène, de réaliser, a nourri l’écriture du personnage d’Ale.
I. A. : Cette fois-ci, plus que jamais, je me suis vraiment sentie entre Jonás et le film ; je me suis nettement inspirée de lui pour composer ce personnage, notamment dans la façon – que j’ai observée tout au long de ce projet – qu’il a de se mettre en crise avec le cinéma au moment de créer. Je me suis vraiment approprié sa manière d’être, toujours avec beaucoup d’humour.
« Septembre sans attendre » de Jonás Trueba : vertiges du couple
Lire l'articleLe film adopte un mouvement répétitif autour de l’annonce que fait le couple de sa séparation. Que cherchiez-vous à atteindre, par ce procédé ?
J. T. : Je voulais que la répétition soit une composante forte du film, que cette même phrase répétée s’apparente à une espèce de contenu qui disparaît et devient, in fine, une boutade. Une boutade qu’Ale et Alex répètent et vis-à-vis de laquelle ils ne peuvent plus vraiment se placer ; on se rend peu à peu compte, grâce à ce dispositif de répétition, que les deux personnages ne parviennent pas à tenir sur cet argument. C’est un élément moteur de mon cinéma : le fait de travailler avec les acteurs dans les mêmes lieux, autour des mêmes sujets… Et, en cela, il était très stimulant d’essayer d’en faire l’argument même du film.
Vos films font intervenir des références concrètes à des œuvres (films, livres, expositions…), lesquelles donnent souvent une impulsion au récit et aux interactions entre les personnages. En quoi sont-elles essentielles au film ?
I. A. : L’univers du film n’est pas tout à fait le mien, mais celui que m’a transmis Jonás et que je chéris. L’acquisition de ce monde-là relève du processus d’apprentissage, pour moi. Septembre sans attendre traite beaucoup de la question de la transmission, notamment de la transmission du cinéma tel que Jonas l’a reçu de son père, mais aussi tel qu’il le partage lui-même avec son équipe, avec moi. Cette notion court tout au long du film, et les objets que l’on voit disent aussi quelque chose de la relation très forte que Jonás entretient avec son chef-décorateur [on voit par exemple un ancien numéro de TROISCOULEURS, le magazine que vous tenez entre les mains, dans une des scènes du film, ndlr].
J. T. : Nous avons toujours travaillé ainsi, sans aller chercher des objets étrangers qui n’ont pas de contexte ni d’histoire, mais avec l’idée d’utiliser ceux qui nous entourent ; les livres, affiches et tasses qui apparaissent dans le film sont donc les nôtres. Cette idée vient probablement d’un artiste qui compte beaucoup pour moi, pour nous : le peintre Ramón Gaya. Il disait que, pour faire de l’art, nul besoin de posséder un atelier ou un décor, et il peignait chez lui les objets de son quotidien, souvent sous la forme d’hommages, à la peinture elle-même, à un artiste, à un écrivain… Il y a quelque chose de cet esprit-là, sans doute, qui nourrit notre cinéma.
Itsaso Arana : « Dans le film, on joue aux princesses, mais pas pour le regard masculin »
Lire l'articleSeptembre sans attendre interroge aussi un certain glissement vers l’embourgeoisement, l’attrait du confort matériel, et raconte peut-être la stagnation d’une relation de couple…
J. T. : J’aime l’idée d’essayer de montrer, dans un film d’aujourd’hui, un couple qui est ensemble depuis longtemps, ce qui représente une espèce d’hétéronormativité appartenant au XXe siècle. S’il existe énormément de films sur les couples dans l’histoire du cinéma, peu sont les cinéastes actuels à s’intéresser à ce sujet de la relation longue. Ce motif m’interroge ; il est lié à une crainte du caractère figé des choses, à la peur que peut susciter l’idée de vieillir ensemble, et puis, en effet, à une peur de l’embourgeoisement. J’y vois aussi une angoisse qui aurait trait au fait de croire les choses acquises dans mon cinéma. Ici, je sens que le couple du film ressent le besoin de risquer quelque chose. Et cette idée de fêter la séparation est peut-être une manière de prendre un risque, de montrer sa propre crise, finalement. Ce sont des choses qui m’animent actuellement, les contradictions très fortes que je sens dans mon rapport au couple, mais aussi au cinéma. Septembre sans attendre est totalement un film sur la crise de la quarantaine. Cela dit, j’aime très clairement l’idée de rester fidèle, et ça se ressent avec mon équipe de techniciens, de comédiens…
Et votre attachement à Madrid aussi…
J. T. : Oui, mais c’est une espèce de maladie. Je ressens le besoin vital de travailler ainsi, tout en trouvant qu’il est ardu de garder cette fidélité, cet esprit, cet élan vital, depuis mes débuts. C’est exactement le sujet du film.
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