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CANNES 2024 · « Emilia Perez » de Jacques Audiard, high queer musical

  • Léa André-Sarreau
  • 2024-05-19

Jacques Audiard ose et réussit un virage inattendu avec cette comédie musicale camp sur la transition d’une narcotrafiquante mexicaine, qui trouve sa beauté dans une forme d’imperfection composite, entre un mélo à la Almodóvar et « Les Parapluies de Cherbourg ».

Ce projet fou, le cinéaste de 72 ans en rêve depuis longtemps, et a dû lui sacrifié bien des nuits sur l’autel de l’insomnie. Dès ses premières minutes – une séquence exaltante, digressive dans les rues de Mexico – Emilia Perez fait sentir son urgence, son débordement, son envie de vivre, comme un film qui aurait trop longtemps dormi dans la tête de son auteur et surgirait enfin dans le bonheur de l’excès.

L’excès, c’est sans doute ce qui décrit le mieux cette improbable fable sur l’identité, dans laquelle une avocate (Rita, jouée Zoe Saldana) est recrutée par Manitas Delmonte, un parrain de la drogue souhaitant devenir une femme. Rita se lance alors dans une croisade effrénée pour que le rêve de Manitas advienne : recherche du meilleur chirurgien, exil de la femme (Selena Gomez) et des enfants en Suisse. Manitas finira par disparaître (pour de faux) avant de renaître dans la peau d’Emilia Pérez, à laquelle l’actrice espagnole transgenre Karla Sofía Gascón prête son jeu flamboyant, tout en larmes embuées.

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Difficile de déflorer cette intrigue tentaculaire sans en abîmer l’intéressante bizarrerie. Disons seulement que tout dans le film procède de l’épiphanie kitsch, de la boulimie visuelle, de l’artificialité opératique. Miraculeux phénomène : c’est précisément cette impureté qui accouche de l’émotion. Audiard se plaît à déstabiliser en multipliant les tableaux dansés-chantés, entre outrance à la Broadway et chorégraphies d’une contemporanéité tranchante, imaginées par Damien Jalet. Il faut voir Zoe Saldana, silhouette-funambule, gestes à la fois chirurgicaux et bestiaux, imposer la terreur dans une salle de gala mondaine pour dénoncer l’hypocrisie des ultrariches. Ou écouter Manitas, bloc de muscles tatoué et chicos en or, chanter dans un murmure cristallin, une tessiture fragile, sa soif d’être une autre, ou plutôt de devenir celle qu’elle a toujours été. Le décalage est terriblement drôle et touchant.

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Jacques Audiard, plutôt porté sur la masculinité – quand bien même il s’agissait d’en observer les dérives – semble tout à coup, avec ironie, mettre un grand coup de pied dans la fourmilière de l’hyper virilité. À ce titre, la bande-originale du film, composée par Clément Ducol et Camille, agit comme une partition révélatrice. C’est un flux d’états d’âme prolongé en chansons pop et lyriques, qui lorgne vers le reggaeton, bifurque vers le Leonard Bernstein de West Side Story, pour traduire aux yeux du monde une identité changeante, un peu comme dans un conte de fée à la Demy. Exercice d’équilibrisme entre sublime et grotesque, Emilia Perez frôle l’abîme du mauvais goût. Et se retient de sauter, pile à temps pour bouleverser.  

Emilia Perez de Jacques Audiard, sortie le 18 août 2024

Le Festival de Cannes se tiendra cette année du 14 au 25 mai 2023. Tous nos articles sur l’événement sont à suivre ici.

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