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Marie Amachoukeli : « Dans l'enfance, tout est intense, bouleversant »

  • Timé Zoppé
  • 2023-05-24

En 2014, elle avait remporté la Caméra d’or pour « Party Girl », beau récit sur une sexagénaire fêtarde, coréalisé avec Samuel Theis et Claire Burger. Dans son premier long réalisé en solo, « àma Gloria », Marie Amachoukeli raconte avec finesse et tendresse le déchirement vécu par une fillette de 5 ans et demi lorsque sa nounou adorée, Gloria, doit retourner au Cap-Vert s’occuper de ses propres enfants. Après la projection cannoise, en ouverture de la Semaine de la critique, elle s’est livrée à nous à propos de filiation et de transmission.

Qu’avez-vous mis de personnel dans cette histoire ? 

J’ai été élevée par une femme qui s’appelle Lorinda jusqu’à mes 7 ans. Elle m’a donné de l’amour et une éducation. Un jour, cette femme m’a annoncé qu’elle retournait dans son pays, le Portugal, dans sa famille, pour mener la vie qu’elle devait mener à l’origine. Comme j'avais grandi dans son regard et dans ses bras, je n’ai pas compris. Mon monde s'est vraiment écroulé. J’ai voulu me retourner sur ce sentiment, ce qui s'est passé en moi ce jour-là. Raconter les adieux entre une petite et sa nounou, ce qu'il y a derrière un départ comme celui-ci, les questions que ça sous-entendait.

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Dans le film, on ne sait pas grand-chose sur les adultes, ni dans quoi travaille le père de Cléo, joué par le musicien Arnaud Rebotini, ni qui gardait les enfants de Gloria quand elle-même gardait Cléo en France… 

Gloria est partie du Cap-Vert en laissant ses trois enfants à sa mère pour gagner sa vie en tant que nounou. Lorsque la mère de Gloria décède, elle doit rentrer s'occuper de ses propres enfants. C'est quelque chose qui arrive très souvent au Cap-Vert, les femmes – car c'est quand même souvent une histoire de femmes - partent à l'étranger, plutôt en Occident ou dans les pays riches, s'occuper des enfants des autres, et laissent les leurs aux oncles, tantes, mères restés sur place.  

On pense évidemment à Ponette de Jacques Doillon (1996), sur une fillette de 4 ans confrontée à la mort soudaine de sa mère, en particulier quand Gloria annonce à Cléo la mort de sa propre mère, qui déclenche son retour au Cap. Vous situez le film dans cette filiation ? 

Ce film s’inscrit dans la filiation de pas mal d’autres - comme Ponette d’ailleurs. Il se trouve que Jacques Doillon a été mon prof à la Fémis. J'ai découvert Ponette et les rushs du film dans son cours. J'avais été très marquée par le jeu de la petite [Victoire Thivisol, lauréate du prix d’interprétation féminine à la Mostra de Venise pour le rôle alors qu’elle avait 5 ans, ce qui avait provoqué un tollé, ndlr]. Ça a été un modèle pour moi, d'acting en tout cas. Il y a un hommage très clair adressé à Ponette à un moment. Je pense aussi à Cria Cuervos [de Carlos Saura, 1976, ndlr], dans la mélancolie, dans le regard de la petite. Mais le film vraiment matriciel pour àma Gloria, c'est Marie Poppins [de Robert Stevenson, 1964, ndlr]. C'est le premier film que j'ai vu au cinéma : j'ai découvert la joie, à 5 ans et demi, dans cette salle de la place de Clichy. J'étais hystéro. Mary Poppins, c'est l'histoire d'une nounou, et ça mélange des moments de fiction et d'animation [comme àma Gloria, ndlr]. En tant que gamine, j'avais une jubilation folle à me dire qu’il y avait un autre monde et qu’on pouvait passer de l'un à l'autre, que c'était trop cool. Et puis en grandissant, j’ai compris qu’il n'existe pas, cet autre monde. Il faut le fabriquer, ça coûte cher et c'est un peu long. Mais j'ai fini par le faire !

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Votre toute jeune actrice, Louise Mauroy-Panzani, est une grande découverte, elle joue des sentiments très forts. Où l’avez-vous dénichée ?

Je n’ai pas un storytelling à la Ponette, je ne peux pas dire « on a sillonné la France, on a vu 4000 enfants et dans le fin-fond de l'Auvergne, on a trouvé une super petite ». Ça ne s’est pas du tout passé comme ça. En fait, Louise, c'est quasiment la première enfant que j'ai rencontrée. Ma directrice de casting est allée en face du bureau dans un parc, elle a vu Loulou en train de se bagarrer avec son frère et elle s'est dit « Eh bah, elle a un petit caractère, celle-là ! Peut-être que… » Elle l'a ramenée au casting. Les parents étaient très méfiants au début et se sont avérés géniaux après, on n'aurait pas pu faire le film sans leur complicité bienveillante et intelligente. Donc elle a déboulé au casting et quand je l'ai vue, je ne peux pas t'expliquer. Je voyais à la fois une toute petite fille, un tout petit truc trop mignon de 5 ans et demi et en même temps un physique qui n’était pas celui de l’enfant lisse, « parfait », ni le tic des films d'auteur, genre l'enfant sauvage. Elle avait une forme de normalité, et en même temps quand je la regardais, j'avais l'impression qu'elle avait 10 000 ans de plus que moi et qu'elle allait m'apprendre plein de trucs. On lui a ensuite fait rencontrer Ilça [Moreno, qui joue Gloria, ndlr] et comme ça marchait bien entre elles, on a compris qu’on avait trouvé notre duo.

Comment l’avez-vous dirigée ?

Elle a lu le scénario avec sa mère, elle était d'accord avec l'histoire, on avait son consentement. J’ai demandé à mon amie d'enfance, Laure Roussel, d'être la coach de Loulou car j’ai hyper confiance en elle. C'est quelqu'un de très drôle, et elle a fini par devenir la marraine de Louise. C'était assez émouvant, juste avant de venir à Cannes, on était au baptême. Sur le tournage, il fallait déjà entretenir le côté ludique parce qu'en fait, tourner avec un enfant, c'est dur, tu n’as que 6 h de tournage max par jour, maquillage compris. T'as pas intérêt à déconner avec ça. Et puis ça a duré cinq semaines, c'était une course de fond. La grande question, c'était comment faire pour que Louise tienne ? Ce qui a été compliqué pour elle, c'était de comprendre qu'on ne tournait pas dans l'ordre. Ça, pour une enfant, c’est bizarre. Elle a fini par comprendre, quand on la remettait en situation, qu'elle faisait un effort de projection par l’imaginaire, elle arrivait à se mettre dans un état. Et puis c'est une enfant qui a une grande écoute, une grande empathie. J'ai l'impression que c’est la qualité des grands comédiens, même s’ils ont 5 ans et demi. Quand elle joue les scènes, elle est vraiment attentive.

Au début de la séance du film à Cannes, votre productrice Bénédicte Couvreur (qui produit aussi notamment les films de Céline Sciamma) a évoqué la question du point de vue en disant que vous y aviez été particulièrement attentives en fabriquant le film. Comment y avez-vous réfléchi ?

On a beaucoup parlé. On s’est d’abord dit que comme l'héroïne avait 5 ans et demi, il fallait être à sa hauteur, retranscrire son point de vue à travers la mise en scène, à commencer par les sentiments. Pour moi, l’enfance, c'est la première fois de tout, tout est intense. On est bouleversé, au bord du suicide, t'as jamais vécu ça, l'amour que tu portes, il est fou. Tu n'as pas appris la distance ni la mesure, ni à te contenir. Il fallait faire ressentir ça. Il y a eu le choix de cette hauteur de caméra et cette vision du monde. Avec ma monteuse, on a inventé un format assez resserré qui permet, pour le spectateur, au hors champ d'exister. A l’image, on voit des visages en gros plan etc., mais c’est pour mieux faire vivre le hors champ ou l'invisible. Pareil pour le Cap-Vert, la grande question, c’était comme filmer ce pays en évitant une forme d'exotisme, c'est un truc qui me stressait beaucoup. Revient l’idée du format : en fait, on ne montre pas, on suggère, on ne fait pas voir, on laisse deviner. Donc c'est toi qui te fais ta représentation du Cap-Vert. On ne peut pas dire que ce film soit un documentaire sur le pays...

Votre père, l’artiste français d’origine géorgienne Goudji, est orfèvre. Qu’est-ce que vos parents vous ont transmis ? L’amour du cinéma ?

Alors, on ne peut pas dire qu’on est sur une famille de cinéphiles. Par contre, mes parents sont très attachés aux arts plastiques. J’ai grandi dans un atelier d’orfèvre, près d’une forge. Mes journées, c’était donc le marteau, le métal et la forge - d’ailleurs hier pour la présentation du film, je portais des bijoux que j’avais faits moi-même, j’étais trop fière. J’ai vécu au rythme de l’atelier. Je n’ai jamais vu mon père prendre des vacances, ou un weekend ni rentrer avant 21h. Ce qu’il m’a transmis, c’est qu’il faut fabriquer, aller au bout, et que c’est en forgeant qu’on devient forgeron, littéralement. Il m’a aussi transmis la passion de faire émerger des formes. Pour lui, chaque pièce doit être originale, unique, c’est pour ça qu’il faut les faire à la main. Il m’a transmis ça, l’obsession de l’objet unique.

àma Gloria de Marie Amachoukeli (Pyramide, 1h24), sortie le 30 août

Images (c) Pyramide Distribution

Portrait : Julien Liénard pour TROISCOULEURS

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