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« Astrakan » de David Depesseville : l'enfance sauvage

  • David Ezan
  • 2023-02-03

Sous ce titre mystérieux se cache le premier film très prometteur de David Depesseville. Il y ausculte le parcours d’un orphelin placé, dans une France rurale qui évoque les maîtres naturalistes, et pose un regard primitif sur l’enfance.

À une époque indéterminée, un visage d’enfant traîne sa rancœur entre granges et bestiaux. C’est celui de Samuel, jeune orphelin placé chez une nourrice (Jehnny Beth), son mari (Bastien Bouillon) et leurs deux enfants. Le magnétique Mirko Giannini prête ses traits marqués, d’une troublante maturité, à ce héros qui semble sur la crête entre deux âges, au point que la futilité de l’enfance lui est souvent refusée, court-circuitée par un monde adulte en proie aux violences de tout ordre. Si l’on pense au Maurice Pialat de L’Enfance nue (1969) ou de La Maison des bois (1971), c’est peut-être moins pour les thématiques communes – la jeunesse chahutée, les familles d’accueil – que pour une certaine vision du cinéma. Soit un moyen de renouer avec une forme primitive, de revenir au langage brut qu’est celui de l’enfance. D’où l’aspect sensoriel d’Astrakan, et ce jusqu’à son beau titre, qui se soustrait aux attendus du « film social » pour explorer le monde à travers les yeux du farouche Samuel.

C’est qu’il s’agit bien d’une exploration, d’une aventure buissonnière rythmée par les saisons. La gravité du sujet est comme tempérée par l’échappée enfantine, dans laquelle les sens sont en éveil : on batifole dans l’herbe et les étangs, on touche, on goûte, on se fait mal. Et puis on voit des choses, de celles qui ne sont pas pour les enfants. Fidèle à son point de vue, le film n’explique rien ; il montre. Astrakan saisit quelque chose de cette cruelle beauté de l’enfance : Samuel y ouvre des tiroirs, y pousse des portes qui donnent sur un inconnu tantôt fascinant, tantôt monstrueux. Image corroborée par un remarquable travail sonore, puisque certaines conversations s’écoutent parfois par bribes. Si Samuel est un enfant, il voit et il entend tout ; y compris la méfiance dont il fait l’objet, mais aussi l’argent qu’il rapporte et qui vient corrompre les liens avec sa famille nécessiteuse.

La lucidité précoce du héros, chez lui source de mutisme et de noirceur, ancre subtilement le film dans une réalité qui n’absente jamais la rudesse de la condition paysanne. Attentif au réel, le cinéaste s’attarde délicatement sur les rituels de la vie à la ferme et les rassemblements à l’église, sublimés à la façon des peintres naturalistes. Il en va ainsi de la rigueur de ses cadres, du grain de sa pellicule ou encore des apparitions spectrales de Lisa Heredia, qui fut la muse de Jean-Claude Brisseau, et Paul Blain, fils de l’acteur et réalisateur Gérard Blain. Belle manière d’annoncer sous quels auspices David Depesseville est né en cinéma.

Astrakan, de David Depesseville, New Story (1 h 44), sortie le 8 février

Trois questions à DAVID DEPESSEVILLE

Les premiers films sont souvent personnels. À quel endroit celui-ci l’est-il pour vous ?

Le film n’est pas autobiographique, mais il a été tourné dans mon Morvan natal. J’ai été imprégné par la culture de cette région, où il y a beaucoup d’enfants placés. Au-delà de mes souvenirs, j’ai voulu retranscrire de pures sensations liées à l’enfance. J’en ai ainsi tiré des éléments de microfiction, en opposition à une dramatisation plus classique des choses.

Quel rôle vos influences ont-elles joué dans la conception d’Astrakan ?

L’Enfance nue de Maurice Pialat, Mes petites amoureuses de Jean Eustache, les films de Robert Bresson et de Gérard Blain m’ont influencé. J’y retrouve cette économie de moyens et cette rigueur dans le découpage, mais je considère moins les influences comme une fin que comme un dialogue avec l’histoire du cinéma. Lorsque je cite une scène de Mes petites amoureuses, je la poursuis là où Eustache s’était arrêté

Comment avez-vous abordé la direction de si jeunes acteurs ?

Ils n’avaient jamais tourné, mais je n’ai pas eu de méthode si ce n’est l’intuition. Je suis parti de ce qu’ils sont : de leur physique, de leur posture, de leur énergie. C’est ce que j’ai trouvé chez Mirko, qui joue Samuel : une compréhension physique du jeu. Je l’ai filmé en amont dans son quotidien, et notre complicité l’a même amené à faire d’intelligentes propositions sur le tournage.

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