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« Fermer les yeux » de Victor Erice

  • David Ezan
  • 2023-08-01

[CRITIQUE] Événement cinéphile du dernier Festival de Cannes, « Fermer les yeux », de l’Espagnol Víctor Erice, est seulement son quatrième long métrage en cinquante ans. Et l’un de ses plus bouleversants, où il se fond dans le personnage miroir d’un vieux cinéaste mélancolique.

Il y a encore peu, on ne l’aurait pas cru. Le très discret Víctor Erice, 83 ans, réalisateur de films rares, dont son premier chef-d’œuvre L’Esprit de la ruche (1977), revient au cinéma. C’est qu’il surgit d’entre les morts, trente ans après Le Songe de la lumière (1992) et autant d’années au cours desquelles on l’avait enseveli au panthéon du cinéma espagnol. Dans son nouveau film, il nous conte justement une histoire de fantômes. En l’occurrence celle d’un acteur, Julio, mystérieusement disparu en plein tournage, tandis que le personnage qu’il jouait devait s’envoler en Chine. Vingt ans plus tard, personne ne l’a retrouvé ; pas même le réalisateur, Miguel, qui dirigeait alors son ami et qui s’apprête à raconter ses souvenirs lors d’un programme télévisé. L’occasion pour lui de se replonger dans l’affaire, mais aussi de braver son renoncement au cinéma – le même dont a souffert Erice, aux nombreux projets avortés.

De ce pur dispositif mémoriel, le cinéaste tire un film ample non seulement par sa durée – presque trois heures –, mais aussi par une mise en scène qui prend le temps, avec une singulière langueur. Car c’est bien de temps qu’il s’agit là : celui qu’on a perdu et qu’on voudrait rattraper s’oppose curieusement à celui qu’on a fixé sur pellicule. Les dernières images filmées par Miguel, devenues les reliques d’un paradis perdu, auront ainsi un impact décisif sur la réalité de Julio. C’est ce que montrait Erice dans L’Esprit de la ruche, où une fillette tombait nez à nez avec le Frankenstein qui l’avait fascinée dans le film de 1932.

Celle-ci était incarnée par l’actrice Ana Torrent, et le film fit d’elle une enfant star. Cinquante ans plus tard, on la retrouve, vieillie, dans le rôle de la fille e Julio. Et si la pellicule peut bien fixer le temps, Erice réfute la nostalgie facile. Il faut briser les reliques, affronter la vieillesse et peut-être la mort ; c’est toute l’idée du film, dans lequel Miguel/Víctor Erice revient paradoxalement au cinéma pour mieux lui dire adieu ; et dans lequel on s’observe lors d’intenses scènes de retrouvailles, qui sonnent à chaque fois comme les dernières avant de baisser le rideau… ou de fermer les yeux.

Fermer les yeux de Víctor Erice, Haut et Court (2 h 49), sortie le 16 août

Image (c) Manolo Pavón

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