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« Les Filles d’Olfa » de Kaouther Ben Hania, affronter les ténèbres

  • Juliette Reitzer
  • 2023-05-19

[CRITIQUE] Auréolé de l'Œil d'or (Prix du meilleur documentaire) à Cannes, «Les Filles d’Olfa» de la Tunisienne Kaouther Ben Hania réinvente le genre en retraçant le parcours d’une femme et de ses quatre filles dont les deux ainées se sont volatilisées, « avalées par les ténèbres ». Puissant.

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De quelle nature sont ces ténèbres que nous annonce la cinéaste, en voix off, au début du film ? Son intelligence est de ne pas répondre d’emblée, non pour ménager un suspense douteux mais plutôt pour ne pas dévier notre attention : ce qui compte ici, c’est de comprendre le cheminement qui a mené là cette famille de femmes.

Kaouther Ben Hania choisit donc de raconter cette histoire vraie, terrifiante et banale, par le début. En nous présentant d’abord les protagonistes. Olfa, quinqua tunisienne malicieuse, intimidée par la caméra mais révélant au fil des entretiens une nature rebelle, passionnée, violente. Ses quatre filles : les deux plus jeunes, Eya et Tayssir, encore adolescentes, assises à ses côtés ; et les deux ainées, Rahma et Ghofrane, absentes, disparues depuis 2015, remplacées pour le film par des actrices.

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Le dispositif se met en place sous l’œil de la réalisatrice. La vraie famille rencontre les actrices et c’est aussi la naissance de cette famille recomposée par le cinéma que raconte le film : les femmes se découvrent, s’apprivoisent. Elles sont rejointes par la star tunisienne Hend Sabri : elle jouera Olfa dans la reconstitution des moments les plus durs de sa vie. Sa nuit de noces par exemple : son refus de coucher avec son mari, sa sœur à elle qui intervient pour inciter l’homme à la violer, la rage d’Olfa. Le sang sur le drap blanc, exhibé aux convives comme gage de virginité ? Ce n’était pas le sien mais celui du mari qu’elle avait fini par tabasser, lâche-t-elle dans un sourire.

Après la naissance des quatre filles – une malédiction dans une société patriarcale et sexiste - Olfa finit par quitter ce mari violent qu’elle n’aime pas. Elle tombe folle amoureuse d’un autre homme qui s’avère toxicomane, abusif et finit en prison, elle galère, part faire des ménages à l’étranger puis revient : ses voisines l’ont alertée, ses filles sont en train de mal tourner. L’ainée a viré gothique, cheveux rose et t-shirts à l’effigie de l’antichrist, sa cadette l’imite. Comme l’ont fait les femmes de sa famille avant elle, Olfa sévit, frappe, insulte, tente d’enfermer, alors que dehors, la Tunisie post-révolution de 2011 voit le parti islamiste étendre son pouvoir…

Sur le canapé à côté d’elle, ses deux cadettes, la réalisatrice et les actrices disent à Olfa : on a le droit d’avoir des désirs, de disposer de notre corps. Olfa répond : non, le corps de la femme appartient à son mari. Au fil des entretiens, des reconstitutions et des échanges de plus en plus intimes entre ces sept femmes hantées par les deux absentes, le film retrace ainsi puissamment l’histoire d’une emprise séculaire, institutionnelle, religieuse, politique sur le corps des femmes.

Il raconte les souffrances héritées et les violences reproduites de génération en génération. Rappelant parfois Virgin Suicides de Sofia Coppola, il raconte aussi l’adolescence et son besoin de transgression, et la vulnérabilité dans laquelle les jeunes femmes sont projetées à la puberté. Il dit la détresse des mères qui aiment mal, celle des filles abusées et l’amour malgré tout. Il finira, bien sûr, par dire ce que sont devenues Rahma et Ghofrane. Mais surtout, il rappelle la possibilité de briser le cycle des violences et des oppressions, à travers les visages si beaux et libres des plus jeunes filles d’Olfa.

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Les Filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania, Jour2fête (1 h 50), sortie le 5 juillet

Images (c) Tanit Films

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