
« C’est la première fois que je fais ça. L’intitulé « masterclass » m’impressionne énormément. Et puis vous, aussi ! Je ne suis pas allée au cinéma dernièrement. J’ai envie de me « cinéphiliser » un peu plus. Donc je suis contente d’aller voir des films ici. Comme Solomamma [sans date de sortie française pour le moment, ndlr] de cette réalisatrice norvégienne [Janicke Askevold, ndlr] tout à fait remarquable. »
« Ingmar Bergman, R.W. Fassbinder, Federico Fellini, Agnès Varda […]… Le cinéma européen a été très fondateur pour moi. Il est moins soumis au formatage, c’est un lieu de résistance et de résonance. J’aime sa force, il y a toujours une forme de risque. C’est un cinéma dont je ne pourrais pas me passer et auquel je me sens appartenir. »
« On voit souvent les stars comme des êtres très sûrs d’eux. Moi, je ne suis pas du tout comme ça, et ça peut représenter un obstacle dans ma vie. C’est très beau d’avoir l’impression d’apporter quelque chose. C’est la parole intime d’anonymes qui compte pour moi et particulièrement celle des femmes. Je voudrais aider à faire tenir : tenir sa foi, ses engagements. On sait que c’est difficile aujourd’hui, donc il faut tenir, il faut tenir, il faut tenir. »
« Les actrices sont des référents essentiels. On pense tous à Meryl Streep quand on pense à une actrice. Ou aux actrices de Bergman – Liv Ullmann en premier. Mes rôles les plus importants, ce sont ceux où je défends des femmes qui ne s’excusent pas de leur intensité, de leurs excès, de leurs douleurs, qui sont impossibles à ranger bien sagement. De nombreuses actrices portent ces valeurs-là, ce destin-là. C’est notre force féministe. J’ai besoin qu’on pense à moi pour ces femmes-là parce que moi, je pense à ces femmes-là. »

« Pour moi, le grand explorateur du visage d’une actrice, c’est Bergman. Quand je vois que le visage d’une actrice reflète son intériorité, je me dis que c’est merveilleux, que c’est ça, aimer les actrices. »
« Entrer dans un personnage c’est partir à la conquête d’une psyché pour que la personne devienne soi. La frontière est infime, et quand il y a fusion, il peut y avoir danger. Des actrices ont pu le ressentir douloureusement. Plus vous cherchez à donner de la vérité au jeu, plus il s’inscrit dans votre programme cellulaire comme une vérité. Là, il peut y avoir un hiatus qui peut mettre en péril votre état psychique. Des actrices qui vont mal, on en connaît. Natalie Portman, dans un documentaire récent, a parlé de Black Swan. Une exploration de sa part obscure très particulière, très puissante, au point qu’elle peut vous décimer. Elle disait qu’elle avait mis un an à se remettre et ça, je le comprends parfaitement. »
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« Patrice Chéreau [avec qui Adjani a collaboré sur l’immense La Reine Margot, sorti en 1994, ndlr], c’est quelqu’un qui fait travailler les acteurs et actrices dans un dénuement. C’est parfois brutal, parce qu’il voit sous la peau, au-delà du personnage. Parfois, il nous demandait d’aller jusqu’à l’os. On ne peut pas s’épargner, il y a une espèce d’exigence organique : être, plutôt que jouer. Ça peut être une expérience éprouvante mais pour lui, c’était indispensable. C’était quelqu’un qui ne trichait pas, il enlevait tout ce qui faisait “écran”. Son regard et son corps envahissaient l’espace. Ce n’était pas quelqu’un qui était derrière un combo, il avait besoin d’être près du décor, de ses interprètes. C’est quelque chose qui me manque, de ne pas sentir cette présence. »
« L’intensité, c’est une promesse de risque jubilatoire. J’en ai besoin pour aborder les personnages. En tant que jeunes actrices, on est remplies de cette nécessité de la faire exister de manière romanesque. Au fil du temps, des années qui passent, les rôles s’adoucissent, mais moi, j’ai besoin de ressentir une émotion particulière quand je lis un script. Ce n’est pas une stratégie consciente mais la recherche d’une passion comme forme de vérité. Je crois que ça, je le porterai en moi jusqu’au dernier film que je ferai comme interprète. »

« Camille Claudel, c’est une expérience, un projet particulier. C’est arrivé à un moment de ma vie difficile. J’avais absolument besoin de pousser un cri de révolte viscéral, sur cette violence qu’on pouvait faire à une femme artiste. J’avais besoin d’un avatar, d’une femme artiste que j’admire, que je respecte et qui porte un certain mystère. Quand j’ai découvert le génie de Camille Claudel, ça m’a aidée. Je serai toujours reconnaissante à Bruno Nuytten, qui était mon compagnon et qui m’a offert ce film, qui a voyagé, initié des carrières de sculptrices… J’ai été mêlée à toute la fabrication artistique, c’était absolument passionnant pour moi. Ça m’a permis, au lieu de devenir une survivante, de devenir une « revivante ». »
« Les artistes, on est plutôt là pour éclairer, pour troubler, pas pour dicter. Le soutien à Salman Rushdie, c’était le soutien à un artiste condamné [en 1989, lors de la cérémonie des César, l’actrice, qui recevait alors un prix d’interprétation pour Camille Claudel, avait défendu l’auteur des Versets sataniques, alors visé par une fatwa, ndlr]. Il y avait une nécessité morale à le manifester. Ça s’est présenté comme ça lors de la cérémonie des César. Je n’ai pas pu faire autrement. Je ne pouvais pas me taire. »
« En ce moment, on est figés, pétrifiés, et c’est pour ça que le cinéma est tellement essentiel : pour nous redonner un élan de vie. »