LA SEXTAPE · « Une bataille après l’autre » ou une jouissance après l’autre

Notre journaliste Lily Bloom est ressortie totalement changée de la projection du nouveau Paul Thomas Anderson.


Une bataille après l'autre
© Warner Bros

Je suis sortie d’Une bataille après l’autre de Paul Thomas Anderson le regard fou, les cheveux ébouriffés, les joues roses. Au-delà de l’émotion cinéphile – ou plutôt grâce à elle –, le film a ranimé une pulsion de vie adolescente, furieuse, que l’ère trumpienne et l’après-Covid avaient engourdie. Le réalisateur réveille le sang, le sexe et la pensée avec cette adaptation du roman Vineland de Thomas Pynchon. On en sort avec l’envie de se battre et de faire l’amour.

Dans le premier mouvement, on colle aux basques d’un groupuscule révolutionnaire au nom so seventies, les French 75. Mains aux fesses, baises rapides et actions violentes s’enchaînent dans un élan irrépressible. Chez Bob (Leonardo DiCaprio), garçon mal dégourdi et ébahi, l’engagement est lié à un désir fou pour Perfidia (Teyana Taylor), la cheffe du groupe, une Aleida Guevara d’aujourd’hui. Comme lui, on adhère à l’idéologie indéfinie de ces amazones parce que Paul Thomas Anderson les rend follement vivantes.

Dans son cinéma, la lutte contre le fascisme ressemble à une montée de fièvre dont l’acmé serait le cri grotesque et sublime de Bob : « Viva la revolución ! » Car oui, le désir est révolutionnaire. Puis vient la scène au sein d’un camp de migrants – sidérante, inédite. Perfidia y noue un pacte avec un colonel fasciste, raide et étriqué, incarné par Sean Penn. Après avoir pris le camp d’assaut, elle le force à se mettre au « garde-à-vous » – autrement dit, à bander.

Dans ce rapport de force inversé, cette torsion d’un imaginaire sexuel aux relents coloniaux, le secret honteux du fascisme se révèle : il n’est pas absence de désir, mais désir malade, perverti par le fantasme de l’ordre. Anderson, comme Wilhelm Reich ou Gilles Deleuze avant lui, sait que le désir est un champ de bataille. Et quand la tension retombe, c’est « la débandade » : Perfidia trahit les siens sans explication, la fièvre alors s’éteint. Le film change de rythme. C’est la fin de l’utopie. Après sa disparition, Bob erre en jogging et peignoir informe, la mémoire trouée, ne sachant même plus l’heure qu’il est. Ce qui met les corps en mouvement, ce n’est ni l’idéologie ni la morale, mais cette jubilation trouble qui pousse à tout recommencer – encore, une bataille après l’autre.

Une bataille après l’autre de Paul Thomas Anderson (Warner Bros. France, 2h42), sortie le 24 septembre