5 images de cinéma deleuziennes commentées par Mathieu Potte-Bonneville

Du 7 au 9 novembre, le Centre Pompidou et mk2 célèbrent le centenaire du philosophe Gilles Deleuze, grand penseur de l’image qui consacra au 7e art deux ouvrages : « L’Image-mouvement » (1983) et « L’Image-temps » (1985). Le mk2 Bibliothèque X Centre Pompidou abritera un parcours riche, entre rencontres avec des spécialistes, projections, performances et installations. Le philosophe Mathieu Potte-Bonneville, directeur du département culture et création du Centre Pompidou, commente pour nous quelques photogrammes qui éclairent la pensée deleuzienne sur le cinéma.


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Cours de Vincennes donné par Gilles Deleuze © Hervé Gloaguen

« Sur cette image, on voit Deleuze donnant son cours à l’université de Vincennes. Ce qui me frappe d’abord, c’est le refus de la hiérarchie, l’absence d’estrade pour séparer les élèves du maître, et l’attention extrême qui rend plus beaux encore tous ces jeunes visages. On entend presque sa voix… C’est ce qui rend si précieux les archives sonores, les entretiens avec Claire Parnet [journaliste française qui fut l’élève de Gilles Deleuze, ndlr] dans l’Abécédaire, ou les performances de Robert Cantarella qui “fait le Gilles” en rejouant les cours [le comédien et metteur en scène a créé en 2008-2009 Deleuze à haute voix, une reprise de cours de Gilles Deleuze, ndlr] : l’enseignement oral de Deleuze, c’est une pensée qui cherche son chemin sur le vif, peut-être la plus belle parole pensante depuis Socrate. »

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Late Gestures de Silvia Maglioni & Graeme Thomson

“On reconnaît ici, en surimpression, l’un des tout derniers films d’Ozu, Dernier Caprice [1961]. Le duo de cinéastes Silvia Maglioni et Graeme Thompson, spécialistes de Deleuze et qui nous accompagneront tout le week-end, reprennent cette image dans Late Gestures, exploration du style tardif de certains grands cinéastes. Cela fait écho à la première page de Qu’est-ce que la philosophie ? de Deleuze et Guattari : “Il y a des cas où la vieillesse donne, non une éternelle jeunesse, mais au contraire une souveraine liberté (…) pour envoyer dans l’avenir un trait qui traverse les âges”.

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Ici et ailleurs de Jean-Luc Godard

“C’est un plan d’Ici et ailleurs, film réalisé par Godard avec le groupe Dziga Vertov [collectif cinématographique créé en 1968 par Jean-Luc Godard et Jean-Pierre Gorin, dans le but de produire des films militants d’orientation maoïste, ndlr.] qui confronte les plans d’une famille ouvrière française à celles du camp de réfugiés palestiniens d’Amman en Jordanie. On rappelle l’importance extrême de Godard pour Deleuze, bien sûr, en particulier à propos du sens politique du montage. Une image étant donnée, à quelle autre la confronter pour prendre la mesure du présent ? Il y a aussi la grande attention portée à la cause palestinienne, dont l’analyse jalonne l’oeuvre de Deleuze et sur laquelle nous reviendrons”.

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“Les créations numériques de l’artiste Jacques Perconte [réalisateur de films expérimentaux et plasticien, ndlr] auraient fasciné Deleuze : est-ce que ce sont des films, des peintures, autre chose encore ? Dans ses travaux sur le cinéma, mais aussi dans le cours récemment publié sur la peinture, Deleuze ne cesse de se demander quels genres d’êtres sont les images, comme un naturaliste face aux espèces vivantes. Cela crée des échos passionnants avec cet artiste d’aujourd’hui, qui met au centre de son travail les enjeux écologiques et la matérialité des images.”

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The Party de Blake Edwards

The Party de Blake Edwards, c’est un grand film sur le faux : faux-mouvement, faux-pas, jusqu’à Peter Sellers grimé en faux hindou (le blackface rend d’ailleurs aujourd’hui le film problématique – là-dessus aussi il faut exercer un droit d’inventaire). Les “puissances du faux” captivaient Deleuze, surtout lorsqu’elles deviennent joyeusement révolutionnaires, comme ici, où la soirée bourgeoise tourne à la transe collective sous la poussée du désir. On peut y voir un écho à ce qui est peut-être ma citation préférée de Deleuze : “N’imaginez pas qu’il faille être triste pour être militant, même si la chose qu’on combat est abominable”. “

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