
Queer Gaze est la rubrique de notre journaliste Timé Zoppé sur le cinéma LGBTQ+
« J’ai deux premiers souvenirs. Le premier, c’était un vieux James Bond avec Pierce Brosnan, celui où ils sont dans la neige [Meurs un autre jour de Lee Tamahori, 2002, ndlr]. Il y a une scène où une femme [jouée par Halle Berry, ndlr] sort de l’eau, elle a les cheveux courts, elle est trop belle. J’ai senti que je la trouvais belle dans le sens « elle me plaît ». Je devais avoir 13 ans. Ça voulait dire que j’aimais les filles et pas les mecs – donc, à cette époque, que j’étais lesbienne.
Il y a aussi eu la série Shameless [2011 – 2021, ndlr]. Il y a un personnage joué par Jeremy Allen White, Lip, qui m’a tellement parlé… Je me suis dit « je veux être lui ». J’ai eu cette connexion avec ce personnage jusqu’à copier inconsciemment sa manière d’être, de se déplacer. En fait, c’est une des premières séries qui montre un homme trans. C’était la première fois de ma vie que j’en voyais un. Le frère de Lip est gay et, à un moment, il sort avec un homme trans [interprété par Elliot Fletcher, ndlr]. Ce qui est incroyable, c’est que c’est bien fait, hyper bien amené. Je me souviens bien de ce moment où je me suis demandé « comment ça se passe ? » J’ai transitionné plus tard, mais c’était quand même la première fois que j’avais une représentation trans.

Depuis toujours, je m’identifie aux mecs dans les séries. Même dans High School Musical, j’étais toujours le gars. Pour moi c’était normal, genre toutes les filles faisaient ça. Je me souviens aussi de One Tree Hill, Les Frères Scott [2003 – 2012, ndlr]. Je jouais beaucoup au basket à l’époque et, pour moi, j’étais le blond dans Les Frères Scott. Je sortais avec ma capuche et mon ballon de basket… Pour moi, ce n’était pas un problème vu que je croyais que tout le monde voulait être un mec. Alors que pour ma première attirance pour les filles, je savais que ça sortait de la norme.

Je me souviens avoir regardé des films obscurs, des trucs suédois d’amour entre femmes, parce que j’avais besoin de ça. J’ai regardé The L Word. C’est une vieille série, c’est problématique à souhait. Ils rendent le personnage de Max [un homme trans joué par Daniel Sea, ndlr] méga agressif, c’est tout faux.
À part le fait que ce soit détenu par des personnes problématiques, les réseaux sociaux offrent une autre manière de représenter les personnes trans, c’est une plateforme pour exprimer comment on vit réellement les choses. Il n’y a pas de script, pas de castings, pas de big money derrière qui décide ce que tu représentes. C’est grâce aux réseaux sociaux que j’ai pu comprendre que j’étais un homme trans, en plus des représentations que j’avais vues.
Je pense que j’ai représenté ça pour beaucoup d’hommes trans. J’ai pu montrer à quoi ça ressemble, qu’est-ce que ça peut donner. Et ça, c’est essentiel. Surtout, montrer que ça peut bien se passer. J’ai cette approche positive des transidentités, j’essaie de mettre en avant les aspects positifs, parce qu’en fait il y en a beaucoup et on ne les voit jamais. Souvent dans les films ou séries, il y a cette curiosité un peu malsaine. On met en avant les difficultés, les chirurgies…
Sur la représentation trans, je suis assez intransigeant. Ça va vite me blesser. Par exemple, il y a quelques années, il y a eu un personnage trans dans la série La Casa de Papel et c’était très mal fait. Tu vois qu’ils n’ont pas demandé à une personne trans, ils ont juste reproduit d’autres représentations. Ça m’a donné envie d’arrêter la série. Il y a trois-quatre ans, il y a eu une augmentation de la visibilité trans dans la culture, les séries. Mais c’était souvent joué par des acteurices cisgenres. Très « souffrance-centré ».
Pour moi, le plus important dans la représentation, c’est que ce soit fait par une personne trans. Que ce soit joué par une personne trans. Ça change tout. Elle ne va pas jouer un truc absurde, elle a vécu la transition. Elle pourra dire : “Non, je ne me regardais pas dans le miroir en m’arrachant les seins.” Et elle aura sûrement son mot à dire sur le scénario. Ce qui devrait toujours être le cas. »
: Table ronde « Trouble dans le masculin », samedi 11 octobre à 16h45 aux Cinémas du Grütli, dans la programmation du festival de cinéma queer Everybody’s Perfect, Genève
: podcast Transmance, nouvel épisode chaque dimanche, disponible sur YouTube et Spotify
: Livre D’un monde à l’autre. Une histoire de transition de genre de Léon Salin (éd. Leduc)