
Hard Eight (aka Double mise en VF) – 1997
Un joueur de casino solitaire (Philip Baker Hall) prend sous son aile un jeune homme paumé (John C. Reilly). Leur lien quasi filial se fragilise quand des secrets du passé refont surface dans un Nevada crépusculaire, plongé sous la lumière artificielle des salles de jeux… Avec ce premier long qu’on sent biberonné au ciné de Martin Scorsese (dans lequel il a recruté Gwyneth Paltrow, Samuel L. Jackson et le débutant Philip Seymour Hoffman), Paul Thomas Anderson place déjà son cinéma du côté des losers et des incompris, dans une mise en scène déjà virtuose mais plus sobre et retenue que dans ses films suivants.

Boogie Nights – 1998
En 1977, un plongeur timide (Mark Wahlberg) est repéré par un producteur porno (Burt Reynolds) et devient Dirk Diggler, star de l’industrie du sexe en pleine expansion dans la San Fernando Valley. Un an à peine après ses débuts, PTA livre un film culotté, son premier grand succès (nommé dans plusieurs catégories aux Oscars), emblématique de son style vibrant – avec ses plans-séquences fascinants, ses compositions soignées, ses couleurs saturées typiques des années 1970, où fête et noirceur entrent en osmose.

Magnolia – 2000
Earl Partridge, mourant, cherche à retrouver son fils abandonné. En Californie, et en l’espace d’une journée, des histoires et des individus se croisent. De ces rencontres ressortent des blessures et secrets cachés… Dans ce film choral aussi romanesque qu’ambitieux (qui réunit Tom Cruise, Julianne Moore, Philip Seymour Hoffman, John C. Reilly ou William H. Macy, et qui a reçu l’Ours d’or à Berlin en 2000), emmené par la pop-folk mélancolique d’Aimee Mann, PTA explore avec plus de profondeur le thème de la famille dysfonctionnelle, tout élargissant encore plus ses horizons baroques.

Punch-Drunk Love – 2003
Barry Egan (Adam Sandler, qui tient pour la première fois un rôle à contre-emploi), trentenaire solitaire et névrosé, vit écrasé par ses sœurs castratrices. Obsédé par une offre de bons d’achat, il voit sa vie bouleversée quand il tombe amoureux de Lena (Emily Watson), une femme douce et énigmatique… Au diapason de la bande-son dérangeante et dissonante de Jon Brio, PTA livre une œuvre à la fois hybride et limpide (Prix de la mise en scène à Cannes en 2002), où une mélancolie profonde se laisse fissurer par des éclats émotionnels fulgurants.

There Will Be Blood – 2008
À la fin du XIXe siècle, Daniel Plainview (impressionnant Daniel Day-Lewis, sacré Meilleur acteur aux Oscars de 2008), prospecteur ambitieux, découvre du pétrole en Californie et bâtit un empire. Mais sa soif de pouvoir détruit tout sur son passage, jusqu’à mener à son isolement absolu. Avec cette tragédie ample d’une beauté noire quasi hypnotique, PTA passe du statut de jeune prodige à celui d’auteur incontournable du cinéma américain, empochant plusieurs prix (Oscar de la meilleure photographie pour Robert Elswit, Ours d’argent du meilleur réalisateur à la Berlinale…). Et signe l’une de ses œuvres les plus entêtantes.

The Master – 2013
Vétéran instable, Freddie (Joaquin Phoenix) rentre du Pacifique hanté par la guerre. Errant, alcoolisé, il rencontre Lancaster Dodd (Philip Seymour Hoffman), leader charismatique d’un mouvement spirituel. Entre eux s’installe une relation de pouvoir, de dépendance et de fascination… Librement inspiré de la Scientologie, ce film cryptique de PTA – tout en jeux de regards et en non-dits elliptiques – fascine par sa sensorialité, sa manière de créer un trouble persistant dans cette relation maître à disciple teintée d’étrangeté.

Inherent Vice – 2015
Dans le Los Angeles brumeux de la fin des années 1960, Doc Sportello (Joaquin Phoenix), détective privé et défoncé à temps complet, enquête sur la disparition d’un promoteur immobilier. L’affaire se ramifie en un labyrinthe paranoïaque de complots mêlant hippies, policiers corrompus et ex. Racontant, dans le passage des années 1960 aux années 1970, la fin d’une certaine insouciance, PTA signe un stoner movie décalé et deep, sentimental et sinueux. Tout ce qu’on aime en somme.

Phantom Thread – 2018
Dans le Londres des années 1950, le couturier Reynolds Woodcock (Daniel Day-Lewis), génie tyrannique de la mode, fait d’Alma (Vicky Krieps), une jeune serveuse, sa muse. Ce qui devait être une liaison passagère devient une lutte d’influence feutrée. Alma refuse de se laisser effacer et s’impose dans le quotidien du créateur. Derrière l’élégance et les robes se joue un huis clos vénéneux. Avec une mise en scène claquemurée dans une maison de poupée aux airs de labyrinthe mental, PTA orchestre un drame amoureux cruel et instable.

Licorice Pizza – 2021
Dans la Californie des années 1970, Gary, 15 ans, tombe amoureux d’Alana, une jeune femme déterminée. PTA filme leur étrange parade sentimentale dans un récit d’apprentissage libre, loufoque et tendre. Entre matelas à eau, pénurie d’essence et stars barrées, le film épouse les détours amoureux de ses héros. Avec une mise en scène flottante et joyeusement désinvolte, chaque scène devient un possible point de départ pour un autre film. Et Alana Haim, révélation lumineuse, emporte tout.

Une bataille après l’autre – 2025
Dans un désert proche de la frontière mexicaine, Bob Ferguson, ex-révolutionnaire stone et largué (Leonardo DiCaprio), part sauver sa fille (la révélation Chase Infiniti), traquée par un colonel d’extrême droite (Sean Penn). PTA signe un film fou, entre pamphlet politique, action débridée et toxicité. Satire et tendresse s’entrelacent, et la mise en scène, amplifiée par le procédé de la Vista Vision, donne une ampleur hallucinante à ce roller-coaster, dont une course-poursuite, hommage au Nouvel Hollywood, reste gravée en mémoire. Un grand film hybride nerveux, généreux, furieusement actuel.
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