
On attendait comme beaucoup son retour. Avec Une bataille après l’autre, Paul Thomas Anderson (There Will Be Blood, 2007 ; Inherent Vice, 2014) ne nous déçoit pas. Toujours obsédé par les personnages tourmentés, le cinéaste américain se réinvente à travers un spectacle grandiose, inédit, qui flirte avec le mauvais goût tout en sachant où s’arrêter. Dans ce film fou furieux qui tourne à plein régime, il raconte l’histoire d’un ancien révolutionnaire largué, empâté et stone, Bob Ferguson (Leonardo DiCaprio), qui reprend du service pour retrouver sa fille kidnappée (géniale Chase Infiniti, vraie révélation du film). Elle est traquée par un dangereux colonel (surprenant Sean Penn, qui ne lésine pas sur les tics nerveux et maintient un corps sec, au garde-à-vous, symbole du virilisme ridicule de l’alt-right américaine) et ses troupes dans un désert aride, près de la frontière mexicaine.
Le film sort dans le contexte d’une crise démocratique ultra violente, que les États-Unis traversent en partie à cause du gouvernement trumpiste, prompt à attiser les flammes. Seul à vraiment le contrer, l’imaginaire révolutionnaire peut parfois paraître dépassé, en décalé avec l’époque, et le film n’hésite pas à s’en amuser, avec une ironie yankee (entre deux running jokes absurde ou mordante, on peut croiser des nonnes anars qui font pousser de la weed). Mais à la différence d’un Ari Aster (avec le récent Eddington), qui fait son miel du duel culturel actuellement à l’œuvre dans le pays sans prendre clairement position, Une bataille après l’autre touche par le regard tendre qu’il porte sur ces groupes révolutionnaires de gauche, qui battent le fer de la lutte contre l’obscurantisme.

Au-delà de son humour potache, le film s’autorise un vrai sentimentalisme, le nerf de la guerre s’ancrant dans l’intime, le romanesque – Bob Ferguson s’enfonce dans la dépression après la disparition de Perfidia Beverly Hills, personnage à la croisée de Lara Croft et Phyllis Dillon, dont il est tombé fou amoureux, mère de sa fille. Elle est aussi la leadeuse bad-ass de leur crew baptisé « French75 », et toute la première partie du film s’attache à en faire le portrait captivant, entre exploits façon jeu vidéo, baby blues et besoin de s’oxygéner.
Le tout est visuellement sublime, capturé en Vista Vision – ce qui confirme, après The Brutalist de Brady Corbet (sorti en février dernier), le retour en force de ce procédé (lancé par la Paramount dans les années 1950, et qui donne une image plus large et nette). Un effet qui, loin d’être gadget, donne une amplitude folle à certaines séquences, dont celle inoubliable – et très référencée Nouvel Hollywood – d’une course poursuite sur une grande route vallonnée, où toute la tension réside dans ces plans rapprochés où l’on voit la route apparaître et disparaître au gré des crêtes (on pense à Vanishing Point de Richard C. Sarafian, sorti en 1971, et évidemment Easy Rider de Dennis Hopper, sorti en 1969). Tout en tissant des liens entre les générations, Paul Thomas Anderson dépoussière le meilleur de cette époque électrique, dont les combats progressistes – c’est ce que le cinéaste fana semble nous répéter – sont encore d’actualité.