Sur le tournage de « Shana », le prochain film de Lila Pinell

Après l’avoir révélée dans le moyen métrage « Le Roi David », prix Jean-Vigo 2021, Lila Pinell retrouve son acolyte Éva Huault pour « Shana ». Dans ce long métrage, l’actrice compose une princesse galérienne, tchatcheuse et touchante, qui traverse l’existence comme une aventure picaresque. On les a rencontrées, le temps d’une journée de tournage à Montreuil, en juillet dernier.


Eva Huault sur le tournage de Shana de Lila Pinell, à Montreuil
Eva Huault sur le tournage de Shana de Lila Pinell, à Montreuil

« Aujourd’hui, on tourne une scène où mon personnage est au bout de sa vie, au bout du bout du rouleau. Vu que je suis en gueule de bois, ça va bien marcher. » Il est 16 heures quand Éva Huault débarque, cigarette au bec et rire contagieux, sur le tournage montreuillois. L’actrice volcanique est déjà dans la peau de son héroïne, Shana, une trentenaire qui enquille les plans foireux et les amours toxiques.

Ce n’est pas un hasard. Lila Pinell (qui a déjà coréalisé avec Chloé Mahieu le long métrage Kiss and Cry, présenté à l’ACID en 2017), 45 ans, s’est nourrie de la gouaille de la jeune femme pour écrire en 2021 le criant de naturel Le Roi David, dont Shana (le titre provisoire) est le prolongement.

Entre Lila Pinell et Eva Huault, c’est la rencontre de deux âmes qui n’ont pas le même âge, mais partagent un goût pour l’errance, les rencontres hasardeuses. En 2009, Lila croise Éva, qui a alors 10 ans, sur le tournage de son documentaire, à Lussas, Nous arrivons, plongée dans une colonie de vacances autogérée. Elles se perdent de vue, se retrouvent – destin oblige – quand l’actrice a 18 ans, et la réalisatrice couche alors sur le papier les bribes de vie romanesques de la jeune femme. « J’ai retrouvé en elle adulte ce que j’aimais déjà chez elle enfant : une intelligence, un humour, une façon de ne pas se prendre au sérieux. » La curiosité se mue en amitié profonde. « Lila est un peu devenue ma psy », résume Éva. Une centaine de cafés et de discussions existentielles plus tard, alors qu’Éva approche de la trentaine, le duo se retrouve sur le tournage du Roi David, puis de Shana.

Capture decran 2025 08 18 a 15.17.12 2
Eva Huault sur le tournage de Shana de Lila Pinell, à Montreuil

En cette journée d’été orageuse, direction une rue passante pour filmer une scène dans laquelle Shana interpelle Latiffa (Sarah Benabdallah) à sa fenêtre pour récupérer la bague que sa grand-mère lui a léguée avant de mourir. Sauf que Latiffa a vendu le bijou. L’embrouille tourne au vinaigre, les punchlines sifflent, indociles, virulentes – un art de la dispute étrangement poétique et lunaire. Au fil des prises, le ton s’envenime, les insultes deviennent de plus en plus imaginatives. Au point que l’on se demande si l’impulsivité des actrices n’a pas cannibalisé le scénario. « Lila réécrit les dialogues et les situations à base d’improvisation. Ça fait la richesse de son écriture. Mon travail consiste à assurer la cohérence de ces propositions narratives. C’est une façon d’exploiter de nouvelles pistes de jeu », confie Tanguy Matignon, scripte sur le film.

Les acteurs de Shana – beaucoup sont non professionnels – ont la fiction dans la peau. Leur rôle est irrigué par leurs histoires de vie. « Le casting s’est fait sur des personnalités, plus que sur une technique de jeu. Je les ai choisis pour leur intériorité complexe, ambivalente », explique Lila Pinell.

Une confusion trouble entre réalité et fiction, qui se loge jusqu’au bout des faux ongles d’Éva. Entre deux prises, alors qu’elle avale son sandwich-frites, la jeune femme, short noir moulant et Crocs roses, avoue : « Tout est à moi dans ce look. Ce tee-shirt de Britney Spears, c’est Lila qui me l’a offert. Vous avez vu le docu sur elle sur Arte [Britney sans filtre de Jeanne Burel, ndlr] ? Comment elle a été cassée, cette femme. En même temps, elle reprend possession de son corps et de son image, c’est ouf. » Le destin de Britney résonne curieusement avec celui de Shana, reine de l’embrouille (et de la débrouille), perdante magnifique que l’on abandonne le cœur serré, mais en sachant qu’on la retrouvera bientôt sur grand écran.