
En quoi votre formation aux Gobelins vous a-t-elle aidé dans votre travail avec l’I.A. ?
J’ai suivi un cursus de motion designer, un métier qui consiste à animer des éléments graphiques, textes comme images. C’est une formation qui me permet d’être une sorte de couteau suisse des outils numériques. Je connais à la fois l’animation, les effets spéciaux, la création graphique, etc.Les outils I.A. sont très difficiles à exploiter, notamment sur ce que l’on surnomme « l’alignement ». Vous devez en effet prendre en considération trois éléments à la fois : votre prompt, la database – autrement dit les éléments dont l’I.A. dispose pour produire un contenu – et le prompt de tous les utilisateurs qui vont aussi biaiser la machine. Le terme « intelligence artificielle » est donc trompeur : je parlerais plutôt de « détection de schéma ». Et il faut quasi systématiquement retoucher le résultat obtenu, c’est là que ma formation m’est très utile.
C’est ce qui explique la cohérence visuelle de The Russian Sleep Experiment, qui revient sur sur l’histoire du scientifique russe Vladimir Maironovsky, qui a conduit en mars 1969 une expérience sur des cobayes humains qu’il privait de sommeil pendant 30 jours ?
Il y a en effet beaucoup de retouches pour obtenir ce résultat. Midjourney propose des outils pour conserver les mêmes personnages, mais il commet de subtiles variations qu’un spectateur repère immédiatement. Et c’est une machine, donc elle ne comprend pas des choses pourtant très simples, comme ouvrir une valve. Enfin, l’I.A. a beaucoup de mal à produire un décor qui soit cohérent de plan en plan. Il est très difficile de retrouver la même porte sous différents angles par exemple. L’I.A. est donc une partie de mes outils, mais ça ne peut pas être le seul.
Avez-vous été frustré par les limites de la database ou par les tendances induites par les autres utilisateurs ?
Oui, beaucoup. Le héros de mon premier court-métrage conçu avec les I.A., The Cartoonist [dans ce court-métrage très inspiré de l’œuvre de Junji Ito, un mangaka s’isole en forêt en espérant fuir un étrange personnage, ndlr], est Japonais. Mais les I.A. changeaient peu à peu l’ethnie du personnage : comme il avait des lunettes, il ressemblait bien trop souvent à Daniel Radcliffe, probablement parce que la database comporte énormément d’images d’Harry Potter. Mais c’est aussi de la cohabitation entre vous, les autres utilisateurs et la database qu’émane un dialogue entre l’artiste et l’outil. Ca n’est donc pas un dialogue entre un humain et une machine, mais entre une grande quantité d’humains, le tout synthétisé par une machine.
Votre expérience va a contrario de beaucoup d’a priori sur les I.A…
Je pense que les peurs du type « L’homme contre la machine » sont infondées. Et par ailleurs, j’incite les réfractaires aux I.A. à les utiliser : c’est le meilleur moyen de démythifier l’outil.
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