CANNES 2025 · Sergi Lopez : « Cela devenait presque un plaisir de jouer la douleur »

Dans « Sirat », d’Oliver Laxe, il incarne Luis, un père désespéré, lancé à la recherche de sa fille disparue. Époustouflant dans un rôle profondément tragique, l’acteur espagnol s’est confié sur cette expérience hors-norme.


Sergi Lopez
© Pyramide Distribution

Sirat est un film extrêmement sensoriel. Était-il possible pour vous, à la lecture du scénario, d’imaginer ce que cela pouvait donner à l’écran ?

Il était très difficile de mesurer le grand espace que prendraient le son, avec la musique mais aussi les bruits du vent et les échos, et l’image, avec les paysages. Je ne suis pas très mélomane et à la lecture, je ne pouvais pas imaginer que cette musique serait aussi envoûtante et enracinée. Il y a deux mois, j’ai vu le film mais sur un petit écran et sans que la musique et les sons soient totalement terminés. Je n’ai pas aimé, je ne suis pas rentré dans le film. Je ne me voyais que moi, moche et jouant mal… bon même si moche, c’est pas grave. Alors que là, [lors de la projection à Cannes, ndlr], la musique était terminée. Et wooooaaaaaah, il s’est passé un truc. C’était du pur cinéma.

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Vous avez tout de suite accepté le rôle de Luis ?

Oui. C’est lui [Oliver Laxe, le réalisateur du film, ndlr] qui n’a pas dit oui tout de suite ! Il m’a demandé si j’étais d’accord pour faire des essais. Je trouvais ça bien, pas seulement pour évaluer ma capacité à jouer le rôle, mais aussi pour voir si on s’entendait bien. En tant qu’acteur, je suis au service du réalisateur et de son histoire. Mais j’ai besoin qu’il croie en moi. Parce que la première image qui m’est venue en lisant le scénario, c’était l’abîme. Un mec face à la fin du monde, face au vide. Un truc impossible à jouer. Je l’ai d’ailleurs dit sincèrement à Oliver : « je crois que c’est impossible mais on va essayer de faire un truc. »

Comment s’est passé le travail avec le reste du casting, intégralement composé de non-professionnel·les ?

Je suis dans une autre position vis-à-vis d’un métier qu’ils découvrent. J’ai pu les aider pour des conneries, en leur expliquant qu’on allait répéter, qu’il fallait se positionner ici ou là. Les rassurer aussi, “t’inquiètes pas, c’était nul mais on s’en fout”. Et en même temps j’ai été très inspiré par eux. Tu vois des gens qui n’ont jamais joué mais ont une gueule, une énergie, une présence qui les dépassent. J’ai essayé de me maîtriser. De ne pas être dans la démonstration du talent mais au contraire de m’effacer. L’idéal pour moi serait d’être si discret que les spectateurs ne sachent pas qui est l’acteur.

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Sirat 4
© Pyramide Distribution

On pourrait presque dresser un parallèle entre vous, seul acteur au milieu d’un casting de non-professionnel·les surtout issus du milieu des rave parties, et votre personnage, Luis, qui est lui aussi perdu dans ce monde-là…

Le film raconte cette idée de l’étranger et de la différence. Luis regarde les ravers comme des extraterrestres alors qu’en face, les autres lui font remarquer que c’est lui, l’extraterrestre. Et puis finalement, lorsqu’on abandonne ses a priori, on retrouve de la solidarité, de la compassion. Cette idée de collectif est au cœur du film. Et moi, je ne suis jamais seul, j’aime beaucoup trop les gens. J’ai des amis qui achètent des petites baraques au milieu de la montagne. Moi, je préfère un bled, même moche, même petit, avec un bar. J’ai besoin des autres, la vie est faite pour être avec les autres. Et en même temps, tu es conscient que tu vas mourir seul.

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Qu’est-ce que ce tournage vous a appris sur vous-même ?

Je crois que toutes les actrices et tous les acteurs font ce métier par vocation. Moi en tout cas, je l’ai, et avec ce film, je me suis rendue compte à quel point il faut assumer la contradiction que tout soit vrai et faux à la fois. Je trouve cela très poétique. C’est d’ailleurs ça aussi qui est phénoménal dans ce métier, je me suis retrouvé à faire plein de choses que je ne ferai jamais dans ma vie. [Le tournage de Sirat] a été une leçon de jeu pour moi : il faut tenter des choses qui parfois te dépassent, qui ne sont pas toi. Cela devenait presque un plaisir de jouer la douleur, par exemple, en tout cas c’est une recherche intéressante de découvrir que tu n’as pas forcément besoin de passer par la douleur pour l’exprimer. C’est pour cela que celui qui a vécu la tragédie n’est pas forcément celui dans la meilleure position pour la jouer. Parfois, la distance te permet de plus approfondir un sentiment que lorsque tu baignes vraiment dedans.

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