« L’Inconnu de la grande arche » de Stéphane Demoustier : archi singulier

Revenant sur la construction, dans les années 1980, de la Grande Arche de la Défense, Stéphane Demoustier (« La Fille au bracelet », « Borgo ») brosse le touchant portrait d’un architecte danois idéaliste dont les rêves artistiques furent ensevelis sous le libéralisme triomphant.


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"L'inconnu de la grande arche" (c) Agate Films

Adapté de faits réels décrits dans le livre de Laurence Cossé, La Grande Arche (paru en 2016), le nouveau film de Stéphane Demoustier s’ouvre par une représentation concrète du pouvoir politique français du début des années 1980 : François Mitterrand (joué avec truculence par Michel Fau), président de la République fraîchement élu, lit le nom du vainqueur du concours international d’archi­tecture lancé pour le futur chantier de construction de la Défense.

Johan Otto von Spreckelsen (Claes Bang), architecte danois de 54 ans inconnu des services présidentiels, est l’heureux gagnant grâce à son idée de cube géant. Le film va narrer avec élégance la mise en place de cet audacieux projet esthétique d’Arche de la Défense qui coïncide avec l’optimisme de la puissance publique de l’époque. Une petite troupe – composée de l’architecte, de son épouse, Liv (Sidse Babett Knudsen), d’un jeune conseiller mitterrandien (Xavier Dolan) et de l’architecte français Paul Andreu (Swann Arlaud) – se constitue pour rendre possible ce rêve architectural. Mais les ambitions d’Otto vont progressivement être revues à la baisse, et sa vision artistique sera freinée par des considérations tour à tour logistiques puis politiques.

Stéphane Demoustier ajoute, à son habituelle densité narrative, une saisissante rage tragique, en accentuant la déception et l’amertume qui finissent par consumer le cœur romantique d’Otto. Donnant à voir un groupe de personnages dont les liens volent en éclats face au libéralisme triomphant, ce film centré sur l’archi­tecture pourrait évoquer une version française de The Brutalist (on aperçoit ici les mêmes carrières de marbre de Carrare, en Italie), mais porte une émotion toute personnelle. Une suspension hors du temps où la beauté de la création artistique paraît éternelle, avant que la bulle enchantée n’explose brutalement.

3 questions à Stéphane Demoustier

Il est intéressant de voir les particularités politiques françaises, comme la cohabitation, à travers les yeux de cet architecte danois qui trouve ce système absurde…

Ce film, qui se déroule dans les années 1980, a, pour moi, une résonance manifeste avec l’époque actuelle. Faire jouer quelqu’un qui vient d’un pays nordique était intéressant parce qu’il vient d’ailleurs, il arrive avec un autre prisme. Je pense qu’il y avait dans les années Mitterrand un panache extraordinaire, une ambition architecturale et un projet merveilleux de changer la vie. Mais il a également renoncé à certaines idées, a dévoyé sa politique, et il y a eu une certaine gabegie financière.

Le casting réunit plusieurs nationalités : Claes Bang est danois ; Xavier Dolan, québécois ; Swann Arlaud, français. Cette troupe incarne-t-elle une sorte d’utopie qui va exploser ?

Oui, c’est complètement la fin des utopies. On a dans le film des nationalités différentes, mais aussi des langues différentes. Car à l’époque la France, à tort ou à raison, se proclamait être au centre de l’Europe, voire du monde. François Mitterrand a tenu à organiser le bicentenaire de la Révolution française, et les présidents du monde entier sont venus. J’aime bien ce mélange de langues et ces acteurs qui viennent d’horizons différents, car cela correspond à l’effervescence de l’époque.

Avez-vous eu la sensation de réaliser un film encore plus ambitieux que vos précédents ?

Réaliser un film sur un architecte est quand même assez austère, et assumer que mon personnage est obnubilé par la forme architecturale et perçoit le monde à travers son exercice d’architecte était un sacré pari. Mais c’est ce qui m’excitait aussi. Je pense qu’on peut réussir un film si l’on s’autorise à le louper. C’était nouveau, pour moi, de réaliser un film d’époque, avec des effets spéciaux – parce qu’il fallait reconstituer un chantier. On a bricolé, mais on a bien bricolé.

L’Inconnu de la grande arche de Stéphane Demoustier, sortie le 5 novembre, Le Pacte (1 h 46)