
Il y a des films qui vous happent dès les premières secondes pour ne plus vous lâcher, et dont les images continuent de vous hanter longtemps après la séance. Sound of Falling est de ceux-là. C’est d’abord affaire de mise en scène : comme ses jeunes héroïnes, celle-ci est à la fois grave, intelligente et intrépide – inversions d’image, flous, ralentis, longs travelings chorégraphiés…. C’est aussi affaire de narration : entremêlant quatre époques distinctes dans un même lieu, on y progresse comme dans un labyrinthe, fascinés par la permanence des décors et par les échos entre les générations, cherchant à en reconstituer la chronologie.
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Au début du 20e siècle, Alma, 7 ans, est une fillette blonde qui vit avec sa famille et des domestiques dans une ferme du nord de l’Allemagne rurale, dans une austérité toute protestante (on pense au Ruban Blanc de Mickael Haneke). Dans les années 1940, Erika est une adolescente dont l’histoire tragique est perçue par touches, notamment à travers les souvenirs de sa petite sœur, Irm. Dans les années 1970, Angelika, fille de Irm, est une ado sensuelle et frondeuse, qui rêve de s’échapper du climat incestuel dans lequel elle vit, et de fuir à l’Ouest. Dans les années 2020, Nelly est une fillette inquiète, qui vient s’installer avec sa grande sœur et leurs parents dans la vieille bâtisse à rénover, dans ce qu’on imagine être une migration de néo ruraux post-Covid…
A chaque époque, retranscrite avec une précision historique sidérante, Sound of Falling offre à ses héroïnes une intériorité d’une profondeur vertigineuse, épousant leurs regards, leurs voix off, leurs rêveries. Par l’usage d’images au symbolisme puissant, le film fait un constat profondément féministe : il pèse sur les filles une violence ancestrale et larvée, menace sourde qui bride leurs désirs et parfois les condamne. Ici, c’est l’histoire, racontée par une enfant, d’une bonne qui fut éloignée quelques jours pour être stérilisée, afin qu’à son retour les hommes de la maison puissent lui « rendre visite » la nuit : « Ils faisaient la queue devant sa chambre. » Là, le récit d’une préado qui restitue l’anéantissement existentiel du premier regard lubrique d’un homme posé sur elle. Là encore, une jeune fille qui s’allonge dans un champ de blé alors qu’approche la moissonneuse batteuse.
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En filmant plusieurs rituels funéraires ou de deuil (s’appuyant notamment sur la tradition des photographies post-mortem, très répandues du milieu du 19e siècle jusqu’au début du 20e siècle), le film met en scène l’idée vertigineuse que la conscience de la mort serait plus prégnante et intégrée chez les femmes, dès le plus jeune âge. Comme les douleurs fantômes, qui au cœur de la nuit font hurler un jeune homme du film tout juste amputé, elle les tient éveillées, contamine leur imaginaire (on pense à Virgin Suicides) mais aussi, et c’est ce qu’il y a de plus beau, rassemble dans une fascinante dissolution du temps les sœurs, les mères, les grands-mères et les filles. Ce film à la beauté froide, implacable, est le second long métrage de l’Allemande Mascha Schilinski, quasi inconnue chez nous puisque son premier film, Dark Blue Girl (2017), n’est jamais sorti en France. Projeté en ouverture de la compétition cannoise, nul doute qu’il saura marquer suffisamment le jury pour trouver sa place au palmarès.
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