
Le Bureau des Légendes fête ses dix ans cette année. Qu’est-ce qui vous a passionné dans cette aventure de cinq saisons ?
Le format créatif me plaît, parce que comme sur Le Bureau des légendes [la série nous immerge au sein de la DGSE et du service du Bureau des légendes, qui dirige à distance les clandestins, agents les plus importants des services du renseignement français, ndlr], j’aime raconter des histoires qui peuvent tenir sur le long terme. C’est la grande différence avec le cinéma : si on fait plusieurs saisons, on peut développer une histoire et des personnages avec précision. En même temps, c’est un exercice toujours exténuant, il y a un peu de souffrance… À un moment, je pense qu’il faudra lever le pied, même si je ne le fais pas du tout en ce moment…
Votre style épuré, proche du documentaire, est très inspiré du Nouvel Hollywood des années 1970, des films de Michael Cimino, Sam Shepard… Vous pouvez nous en parler ?
Le Nouvel Hollywood est passionnant parce que c’était un cinéma engagé, qui dénonçait en son temps la CIA, la guerre du Vietnam… Il regroupait des réalisateurs qui venaient de la télévision, du reportage. Je pense par exemple à Sidney Lumet, Jerry Schatzberg, Alan J. Pakula, même Francis Ford Coppola avec Conversation secrète. C’était un cinéma du réel, politique. Aujourd’hui, Hollywood est face à un défi. Surtout avec l’arrivée de Donald Trump, qui amorce une révolution culturelle. D’ailleurs, Donald Trump pourrait faire figure du Nixon des années 1970. Que va faire Hollywood ? Est-ce qu’il va retrouver le chemin de l’engagement ? Le cinéma américain contemporain n’est plus en prise avec ce qui le traverse. Même au début des années 2000, nous avions encore des films dossiers, comme L’Affaire Pélican de Alan J. Pakula (1993), Erin Brockovich, seule contre tous de Steven Soderbergh, Révélations de Michael Mann sur les lobbys du tabac… Il y a eu une vraie période de dénonciation des scandales, de remise en cause des dérives du capitalisme. Actuellement, le cinéma américain s’est dépolitisé.
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Que ce soit dans Mafiosa, Le Bureau des Légendes ou encore votre film Les Patriotes, tous vos projets se nourrissent du réel. À l’heure où la réalité semble parfois excéder la fiction, comme trouve-t-on encore des sources d’inspiration ?
C’est très difficile, mais ce n’est pas tant parce que la fiction dépasse la réalité. C’est surtout parce que la réalité se révolutionne tout le temps. Depuis la COVID-19, le monde est entré dans des phases de crise qui forcent les scénaristes à se réinventer. Il y a eu le 7-Octobre, la guerre en Ukraine, l’élection de Trump… Au début du siècle, le terrorisme, réalité qui a commencé avec l’effondrement des tours du World Trade Center en septembre 2001, est resté une menace permanente sur plus d’une décennie. On pouvait écrire sur ça sans devenir obsolète. Aujourd’hui, c’est impossible. On vit des changements permanents : l’instabilité de l’Europe, les renversements d’alliance entre les États-Unis et la Russie. Quand on écrit des séries géopolitiques, le sol n’est plus très stable. Il faut essayer d’anticiper, suivre la réalité sans être trop tributaire de ce qu’il se passe. Garder uniquement les éléments intangibles, les forces permanentes. Ne pas faire de la politique fiction, mais déceler ce qui va rester. Mais cette contrainte me motive.
Vous préparez une nouvelle série d’espionnage, Secret People. Est-ce important de ne pas refaire un Bureau des Légendes Bis ?
Oui. J’ai vendu Secret People comme un « Game of Thrones du renseignement. » J’y mets en scène des agents de la CIA, des agents russes du FSB, des Français de la DGSE, comme différentes familles qui se battent entre elles. Ce qui m’intéresse, c’est de croiser leurs histoires et de décrire comment ils agissent, avec quelle motivation, quelles angoisses, quel sens du patriotisme. Ils sont ennemis, parfois alliés. Je voulais brosser un portrait de la planète, de la géopolitique. Cette série est reliée à l’espionnage, mais on ouvre les fenêtres sur le monde, avec une vision globale, comme un lego narratif.
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Pouvez-vous nous parler de votre second projet de série, Bandi ?
Bandi, ça veut dire « gangster » en créole. C’est l’histoire d’une famille martiniquaise, avec onze enfants âgés de 7 à 25 ans. Ils sont obligés, à cause des aléas de la vie, de monter un gang familial, alors qu’ils ne sont pas forcément disposés à ça. Ils vont verser dans l’illégalité et la violence pour rester ensemble. C’est une série qui fait beaucoup référence à Shameless et à Top Boy, pour l’univers des gangsters, du trafic de drogue. Il y a aussi un côté Peaky Blinders. Le casting est composé uniquement d’Antillais, avec des acteurs non professionnels extraordinaires.
Quels thèmes seront au cœur de cette série ?
La solidarité familiale, la lutte pour la survie, la pauvreté, la morale. La série obéit à une trajectoire à la Scarface, c’est une tragédie familiale. J’espère pouvoir toucher à l’universel.