EDITO – La jeune femme est là, dans la cuisine, avec son compagnon qui, dans la lumière morne du petit matin d’Oslo, se sert un café. Elle est là mais son esprit est ailleurs. Cette pensée qui s’échappe, la mise en scène va la suivre. Soudain, dans la cuisine, l’homme se fige. L’héroïne sort, prend l’escalier jusqu’à la rue où passants et véhicules sont immobiles eux aussi. Alors elle court comme une dératée jusqu’à lui : un homme fraîchement rencontré. Cette scène est le cœur battant du sublime Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier.
Elle raconte bien son héroïne perdue – figée – dans le champ des possibles : et si ? et si on s’était rencontrés à un autre moment ? et si j’avais agi différemment ? Ce rôle a valu à la Norvégienne Renate Reinsve le Prix d’interprétation à Cannes.
Sur notre photo de couverture, il y a ce même mélange d’agitation et d’inertie – comme un léger bougé. Et si le film mettait le doigt sur le sentiment de l’époque ? L’immobilisme forcé et l’imagination qui prend le relais, c’est ce qui se joue dans l’autre grand film de la rentrée : Guermantes.
Christophe Honoré tire une fiction de la création interrompue par le Covid de son spectacle, inspiré d’À la recherche du temps perdu de Proust – Proust qui, avec sa fameuse madeleine trempée dans son thé a si bien décrit le pouvoir d’évocation de la pensée : « … tout Combray et ses environs, tout cela qui prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé. »
Une jeune femme qui fantasme sa vie, une troupe confinée qui répète une pièce fantôme… En cette drôle de rentrée, engouffrons-nous dans les pas de ces fascinants voyageurs immobiles. JULIETTE REITZER
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